Dans l’une de ses plus belles nouvelles, L’homme qui abandonna son nom, Jim Harrison esquisse le destin d’un homme d’affaires, Nordstrom, qui, arrivé à l’automne de sa vie, décide soudainement d’en combattre la vacuité. Délaissant alors son métier et ses relations sans relief, il tente de reprendre le fil de ce qui l’animait jadis, et notamment la pratique de la danse. Seul le soir, dans sa cuisine, il s’élance au son de Stravinsky ou du Grateful Dead, avec l’espoir de « sentir son corps rétif devenir fluide et gracieux ». Une aspiration à la légèreté, au sentiment d’échapper au poids de la vie, qui fait écho à ce qu’en dit la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker, mais aussi à la pensée de Nietzsche et ses exercices de libération de soi.

Est-il possible de vivre plus léger ? À l’aube de cette nouvelle année, dont on ne peut qu’espérer qu’elle fasse oublier la précédente et son cortège de mauvaises nouvelles – guerre, inflation, canicules, sécheresses… –, il pourrait paraître incongru de s’intéresser à un thème qu’on imagine volontiers synonyme de frivolité. Mais, comme l’explique le philosophe Gilles Lipovetsky dans l’entretien qu’il nous a accordé, notre civilisation de la légèreté offre déjà de multiples voies d’évasion, à force de confort matériel, d’innovations techniques, de loisirs toujours plus aériens. Ce numéro en décline d’ailleurs plusieurs figures modernes, de l’intérêt grandissant porté au jeûne aux tendances minimalistes visant à faire le grand ménage chez soi. Sans oublier, toutefois, que ces « utopies light » ne sont rien si elles ne permettent pas d’alléger sincèrement le poids de l’existence, si elles n’alignent que des formes insoutenables de légèreté sans offrir de véritable réconfort face à nos doutes et à nos angoisses.

Dans l’une de ses Leçons américaines, Italo Calvino évoquait le secours de Persée pour échapper à ce « monde condamné à la lourdeur ». Comme lui, il faudrait pouvoir se détourner du visage de la Méduse pour éviter de finir pétrifiés, prisonniers des contraintes que l’existence fait peser sur nous. Ne pas oublier ce « monde des monstres » dont la Gorgone est issue, mais savoir où porter le regard pour l’affronter et en triompher. Bref, cultiver l’intelligence plutôt que l’indifférence, pour parvenir à s’inventer une vie meilleure. C’est tout ce que nous pouvons vous souhaiter pour cette nouvelle année, pour laquelle toute l’équipe du 1 vous adresse ses vœux les plus chaleureux. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !