Quelle différence faites-vous entre minimalisme et simplicité ?

Le minimalisme est une mode, une tendance, essentiellement d’ordre matériel, qui consiste à avoir le moins d’objets possible chez soi, dans un espace souvent blanc et sans rideaux. Voilà ce que l’on voit dans les magazines qui en vantent les mérites, et ce que beaucoup de minimalistes expliquent dans leurs livres.

La simplicité, elle, est en plus un état d’esprit : c’est aussi choisir d’employer son temps en toute liberté ; c’est dire la vérité, ne pas essayer de se faire valoir, d’impressionner… Si l’on arrive à être en accord avec soi-même, quel que soit notre train de vie, c’est déjà une grande forme de simplicité et d’humilité.

En quoi le minimalisme japonais est-il singulier ?

Il y a certains minimalistes, notamment américains, pour qui ce concept revient à mettre toutes ses affaires dans un dépôt et à n’aller chercher au fur et à mesure que ce dont ils ont vraiment besoin. Ce mouvement s’est aujourd’hui répandu dans tous les pays occidentaux. Mais au Japon, c’est plutôt un minimalisme d’apparence, c’est-à-dire un minimalisme bien plus esthétique que réel. Beaucoup de Japonais se font désormais faire des cuisines très épurées, mais quand on ouvre les placards, on y trouve tous les gadgets habituels. Au Japon, le minimalisme est une tendance très onéreuse ; les riches qui en sont adeptes ont tout ce qu’il faut, mais ils le cachent.

Quelle est l’influence de la religion sur ces réflexions minimalistes ?

Le shintoïsme, qui n’est pas vraiment une religion mais plutôt un dogme très ancien au Japon, prône la pureté – un des rites shinto consiste, par exemple, à faire des marches de temple en temple habillé tout en blanc. Dans cette pensée, le ménage a presque une connotation religieuse, et les Japonais ont toujours valorisé le fait de se purifier, tant matériellement que spirituellement. Ce besoin de vide est ancré dans leur culture. Les temples shinto sont vides, contrairement aux églises chrétiennes.

« Il faut vivre avec ce dont on a besoin, ni plus ni moins. Or tout le monde n’a pas les mêmes besoins »

Dans la pauvreté comme dans la richesse, les Japonais ont toujours eu un attrait pour l’esthétique. De simples navets peuvent devenir des œuvres d’art dans une tokonoma, ces sortes d’alcôves traditionnelles où l’on expose plantes, œuvres ou objets ornementaux. C’est une forme de minimalisme : faire de la beauté avec peu. Le bouddhisme japonais compte beaucoup de sectes qui sont plus ou moins strictes sur la non-possession. Toutefois, l’idée générale est de ne s’attacher à rien, ni aux choses pratiques, ni aux plaisirs des sens, ni même à la vie. Et arriver à se détacher ainsi de tout permet d’atteindre non pas le bonheur, mais plutôt la sérénité.

Vivre avec moins, est-ce la solution pour vivre mieux ?

Il est nécessaire de définir ce qu’est ce « moins ». Il faut vivre avec ce dont on a besoin, ni plus ni moins. Or tout le monde n’a pas les mêmes besoins : certains ont besoin d’un lit, d’autres se contentent d’un futon. Tout dépend de l’âge, de la situation matérielle, de l’éducation, des critères qui font le « juste milieu » entre le minimalisme extrême et l’accumulation sans limites. Le plus et le moins ne peuvent pas être définis, ce ne sont pas des valeurs universelles.

Pourquoi les solutions minimalistes comme celles de Marie Kondo – qui est devenue mondialement célèbre avec son best-seller La Magie du rangement, en 2015, puis avec une série Netflix – ont-elles autant de succès ?

C’est une mode qui convient bien aux jeunes, parce que c’est une façon de vivre avec moins d’argent tout en restant branché. Cela s’accompagne aussi d’un grand mouvement de révolte contre la surconsommation, en adéquation avec ce que prône le minimalisme. Marie Kondo a eu une grande idée : expliquer clairement le minimalisme. Mais cette dernière ne s’est emparée que des aspects matériels du minimalisme, pas des questions spirituelles. Elle ne prône pas un minimalisme du vide, mais une méthode simple : ne garder que les choses qui procurent un certain bonheur.

Ce succès n’est-il pas contradictoire avec une certaine éthique minimaliste ?

Il y a une certaine contradiction avec la vision minimaliste matérielle, mais elle a le mérite d’avoir trouvé ce créneau. En regardant le nombre de publications à ce sujet aujourd’hui, on comprend que ce soit devenu un thème facile avec lequel les gens essaient de faire de l’argent. On peut en dire de même du hygge, cet art de vivre qui consiste à rester positif et à rechercher ce qui est convivial et chaleureux, en Norvège et au Danemark. C’est aussi une mode.

Le minimalisme porte-t-il un discours politique plus large sur la surconsommation ?

Pas au Japon, car il n’y a pas véritablement de discours politique dans la société : les Japonais ne parlent jamais de politique, au contraire des Français, il n’y a que l’économie qui compte. Et ils commencent tout doucement à s’intéresser à l’écologie : depuis un an, les sacs en plastique, à défaut d’être interdits, sont payants. Mais ils sont peu chers, et c’est encore anecdotique.

Vivre simplement, serait-ce retourner à des modes de vie préindustriels, et se mettre en retrait de la numérisation de la société ?

Il ne s’agit pas de revenir complètement à des modes de vie préindustriels – les avancées de la médecine moderne sont un bon exemple des bienfaits de notre époque –, mais il y a de nombreuses choses que l’on doit réapprendre à faire manuellement au lieu d’en déléguer la conception à des machines. La numérisation et la robotisation ont complexifié notre rapport au réel et aux autres. À mon sens, parler d’« intelligence » artificielle est une aberration : ce ne sont que des ordinateurs très puissants, qui, de plus, ne peuvent ressentir d’intuitions. Faire confiance à son instinct se perd de plus en plus, et cela m’attriste. D’ailleurs, on néglige trop les « métiers utiles » – menuisier, électricien, dentiste, etc. – au profit de métiers inutiles exercés derrière un écran. Vivre simplement, c’est aussi faire l’éloge de ces métiers manuels.

Que peut-on faire de façon concrète pour vivre plus simplement aujourd’hui ?

Il faut d’abord prendre conscience de ses propres besoins, réels et non fantasmés. Cela signifie avoir les pieds sur terre et se poser les questions de façon concrète. Il est important de réfléchir, pour vivre en harmonie avec soi-même et non en se comparant aux autres. Ce qui demande beaucoup de travail, car cela ne vient pas comme par magie. Il faut lire, écouter les gens, cultiver sa propre opinion, mais aussi garder des plages de silence et de solitude.

Vivre simplement, est-ce accepter les moments d’ennui ?

C’est très important ! Tout est tellement facile avec Internet et les réseaux sociaux que de nombreux jeunes ne supportent plus d’être seuls et de se dire que personne ne pense à eux. Ils ne sont plus connectés avec eux-mêmes et cela les rend dépendants. Il faut accepter que l’ennui, mais aussi la solitude, sont des choses positives, voire productives. Avoir toujours besoin des autres, c’est aussi une forme de dépendance. Le vrai minimalisme, c’est savoir se suffire à soi-même et être heureux seul. Je vis en écoutant ce que mon corps me dit de faire. Si j’ai envie de sortir marcher, je vais marcher. Si j’ai envie de ne rien faire chez moi, je ne fais rien. Il ne faut s’imposer que les règles et les obligations dont nous avons besoin. Vivre légèrement, c’est vivre comme une libellule au gré du vent. 

 

Propos recueillis par FLORIAN MATTERN

Vous avez aimé ? Partagez-le !