Rainer Maria Rilke écrit les Sonnets à Orphée à la mémoire de la danseuse Véra Ouckama Knoop. C’est un tombeau, mais un tombeau dressé hors du christianisme. Inspirer, expirer n’y est plus une prière ; le souffle, qui fut divin, est indifférent aux hommes. Et pourtant que le poète est léger ! Il vole sans peur dans un ciel sans chemin, aérien par sa seule inspiration.  

 

Entrez de temps à autre, ô vous les tendres,
dans ce souffle d’air qui ne vous veut rien,
laissez-le se fendre au long de vos joues,
derrière vous il tremble, à nouveau un.

Ô vous les heureux, ô vous les indemnes,
vous qu’on dirait commencement des cœurs,
votre sourire, arc et cible des flèches,
plus éternel est son éclat en pleurs.

Ne craignez pas de souffrir, ce qui pèse,
rendez-le à la terre, au poids qu’elle a ;
pesants sont les monts, pesantes les mers.

Ces arbres même, enfants vous les plantiez,
sont depuis longtemps trop lourds à porter.
Mais le monde aérien… mais les espaces…

Sonnets à Orphée

© Éditions Gallimard, 1994, pour la trad. de Maurice Regnaut

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !