Peu de phénomènes dans l’histoire récente ont eu un effet aussi explosif sur l’Europe et l’état de sa démocratie que le facteur Trump. La séquence a été progressive : sous-estimation initiale, prise de conscience progressive des conséquences en termes de diffusion du populisme et d’affaiblissement de l’Alliance atlantique, prise de conscience définitive de son impact sur pratiquement tous les dossiers à l’ordre du jour.

En effet, si l’élection de 2016 a eu des répercussions géopolitiques évidentes, c’est peut-être sur l’UE qu’elle a libéré son potentiel le plus destructeur. Au début, comme je l’ai dit, on a voulu la minimiser. Ce n’est pas un hasard si on a eu fréquemment recours aux précédents des administrations Reagan et Bush Jr. pour plaider en faveur d’une lecture rassurante du résultat du vote. Une lecture qui peut se résumer en trois aveuglements. Premièrement, la pelote complexe des liens transatlantiques a été considérée comme suffisamment solide pour résister à l’effilochage créé par la nouvelle conception de politique étrangère qu’il portait. Deuxièmement, on n’a voulu voir dans les nombreuses dérives de sa campagne électorale que le résultat d’extravagances personnelles ou de provocations savamment orchestrées. Enfin, en pleine crise du Brexit et aux prises avec la gestion de l’urgence migratoire, l’Europe a estimé qu’elle pouvait aborder la question des relations avec Washington avec un mélange de business as usual et de réunions bilatérales, sans considérer l’urgence d’une stratégie commune, véritable doctrine de l’UE, en réponse à la révolution en cours aux États-Unis.

Avec le recul, nous pouvons désormais saisir la gravité de ces aveuglements. D’abord parce que les éléments qui permettaient de penser que Donald Trump n’était ni Reagan ni Bush étaient déjà bien là avant son élection. Il était illusoire de croire qu’une fois l’homme entré dans le Bureau ovale, sa conduite changerait et son impétuosité s’atténuerait. Deuxièmement, ces années de Trumpisme ont affaibli non seulement les institutions du multilatéralisme, mais la nature même de l’alliance entre l’Europe et les États-Unis, avec une attaque systématique et corrosive contre l’intégration européenne. De ce point de vue, même si Trump quitte la scène, il faudra du temps et de la patience pour rétablir cette fluidité des relations et cette confiance mutuelle entre alliés, bâtie au fil des décennies et mise en pièces au cours des quelques années de sa présidence.

Enfin, l’effet le plus perturbateur porte sur la qualité de la démocratie européenne. C’est ici que la légitimation du populisme souverainiste a joué le rôle de détonateur des nombreuses tendances à la désintégration déjà présentes dans les pays européens, meurtris par les conséquences de la grande crise économique en matière de cohésion sociale et d’instabilité politique. Et c’est là que les paroles et les actes de Trump, son manque de scrupules dans le règlement des questions brûlantes, la violation continue de tout code de conduite ont amené à une forme d’émulation qui a renforcé le nationalisme populiste partout sur le Vieux Continent. La question de l’immigration, notamment, est devenue une arme habilement agitée pour à la fois souffler sur les braises des peurs citoyennes et pour créer un climat de haine et de recherche de boucs émissaires, indispensable pour véhiculer le consensus et mobiliser les partis populistes à travers l’Occident.

Opposition délibérée à l’interaction européenne, dévalorisation du multilatéralisme, affaiblissement de l’Alliance atlantique, catalyse des tensions internes et du populisme au sein du continent : voilà, en résumé, l’effet Trump sur l’Europe. Et la raison pour laquelle les élections présidentielles américaines de 2020 peuvent être considérées comme les « élections européennes » les plus importantes de ces dernières décennies. 

Traduit de l’italien par J.B.

 

 

 

 

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