La puissance américaine a connu un âge d’or dans les années 1990, entre la chute de l’URSS et les attaques terroristes du 11 Septembre. Francis Fukuyama annonçait alors la victoire définitive de la démocratie libérale et la fin de l’histoire. Les choses se sont gâtées par la suite, entre « fatigue de l’Empire » et montée en puissance du compétiteur chinois. Barack Obama avait déjà été qualifié de « guerrier réticent » en raison de ses hésitations à intervenir à l’étranger. Mais la présidence Trump semble avoir distinctement accéléré le déclin du leadership américain.

Dès la campagne de 2016, le candidat Trump avait clairement exposé sa vision des relations internationales. Celles-ci se déroulent à ses yeux dans un monde « à l’état de nature », au sens hobbesien du terme, c’est-à-dire un monde de violence et de rapports de force dans lequel la diplomatie et la coopération internationales sont inefficaces, voire contraires à l’intérêt des États-Unis.

C’est pourquoi, à partir de janvier 2017, l’Amérique de Trump tourne le dos non seulement au multilatéralisme, mais aussi à sa pratique du leadership. Elle met en œuvre un nationalisme de fermeture qui, rompant avec ce qui a été la ligne directrice du pays depuis 1945, refuse explicitement d’assumer le rôle de gendarme du monde. L’objectif de puissance n’a pas disparu mais, exprimé par les tweets du président, il est au service d’une Amérique égoïste et sourde aux problèmes du reste de l’humanité. Trump annonce ainsi le retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat, et plus tard, de l’accord sur le nucléaire iranien. S’ajoutent : une vive critique des alliances de défense, considérées comme coûteuses et inutiles ; une renégociation au pas de charge des accords commerciaux tels que l’Alena (avec le Mexique et le Canada) et le Korus (avec la Corée du Sud) ; des guerres commerciales engagées avec l’Europe et surtout avec la Chine… Jusqu’à aujourd’hui où, contrairement à ce qui se serait probablement passé à d’autres époques, le gouvernement américain n’a pas cherché à organiser la réaction internationale à l’épidémie de Covid-19, que ce soit en coordonnant les fermetures de frontières ou la recherche d’un vaccin. Chacun pour soi.

 

Même si aujourd’hui le softpower américain reste dominant, au travers des films et séries qui transitent désormais par les plateformes de streaming, ou par l’importation des débats sociaux et intellectuels liés aux mouvements #MeToo ou Back Lives Matter, le leadership moral des États-Unis semble lui aussi bien abîmé. Que penser du modèle démocratique américain au moment où le président Trump accorde plus de foi aux dénégations de Vladimir Poutine qu’aux rapports de ses propres agences de sécurité dénonçant les tentatives d’ingérence dans le processus électoral américain par des pirates informatiques russes ?

Deux développements dans cette dernière année précisent quel est le prisme trumpien.

Le refus du multilatéralisme avait conduit l’administration Trump à pratiquer une politique d’obstruction dans les enceintes internationales. Or, depuis le printemps, on assiste à un réengagement des États-Unis dans plusieurs institutions chargées de questions économiques et commerciales. Washington propose ainsi des candidats à la direction de l’OMC, de l’OCDE ou de la Banque interaméricaine de développement, sans compter la nomination en janvier d’un diplomate chargé spécifiquement d’entraver l’avancée des candidats chinois dans les agences de l’ONU. Ce n’est pas un changement d’appréciation, mais de méthode : la politique de la chaise vide avait tout simplement profité à la Chine.

De même, le succès diplomatique remporté ce mois-ci par le gendre du président Jared Kushner, en amenant la reconnaissance d’Israël par les Émirats arabes unis et Bahreïn, bénéficie aux alliés israéliens et saoudiens du président. Mais il répond surtout à un objectif de politique intérieure : séduire l’électorat évangélique, résolument sioniste, avant les élections du 3 novembre.

Si le démocrate Joe Biden est élu en novembre prochain, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il revienne en arrière sur chaque sujet de politique étrangère américaine : la désillusion vis-à-vis de la mondialisation et du libre-échange, l’hostilité envers les pratiques commerciales, environnementales et humanitaires chinoises sont aujourd’hui dominantes à Washington, y compris chez les démocrates, et elles gouverneraient aussi les choix de la nouvelle administration. Pour autant, la communauté internationale pourrait compter sur un retour à une diplomatie américaine traditionnelle, qui pratiquerait le multilatéralisme et chercherait à remettre en place un leadership américain bienveillant. Biden souhaite en effet le retour d’une Amérique qui « donne l’exemple » en matière de démocratie. Non seulement cette nouvelle administration célébrerait l’amitié transatlantique, mais elle reviendrait « dès le premier jour » dans l’accord de Paris. Cela suffirait-il à redonner confiance à des alliés échaudés par la présidence Trump ? 

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