« Toute réforme impopulaire génère un choc des légitimités »
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Comment qualifier le moment politique que nous vivons ?
Au-delà du sentiment qu’Emmanuel Macron brutalise les institutions, nous assistons à l’explosion de la déconnexion entre deux légitimités. La légitimité institutionnelle dont se prévaut le président est perçue comme une coquille vide par une majorité des citoyens. Parce que subsiste en arrière-plan l’histoire d’une souveraineté populaire qui s’inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789, puis dans le préambule de la Constitution de 1958. La position de M. Macron est théoriquement légitime si on se réfère à son statut de président, au rôle de sa majorité, à l’usage du parlementarisme rationalisé. Mais il existe une autre forme de légitimité, plus impalpable, dont on sait qu’elle a toujours été en filigrane des décisions politiques, et pas seulement sous la Ve République, qui est la légitimité de la souveraineté populaire. La démocratie ne fonctionne que par l’assentiment du plus grand nombre. Contrairement à ce qu’affirmait M. Macron dans sa dernière intervention télévisée, il ne s’agit pas de la foule mais du peuple en tant qu’organisation fixée par le droit. Je préfère parler de citoyens régis par des règles et qui, par le biais de corps intermédiaires et de manifestations, font entendre une autre légitimité.
Ce choc brutal des légitimités est-il nouveau ?
Non, mais on est à l’apogée de cette dialectique. Ce qui compte est la manière dont le pouvoir négocie ce moment. On peut considérer que toute réforme impopulaire génère ce choc. Mais je ne vois pas d’exemple où il n’ait pas été résolu par une sorte de négociation de la part du pouvoir. Lorsque se présente la crise de Mai 1968, de Gaulle va chercher à réaffirmer sa légitimité à travers une dissolution de l’Assemblée et de nouvelles élections législatives. En avril 1969, ayant le sentiment que sa légitimité institutionnelle ne coïncide plus avec la légitimité de la souveraineté populaire, il va rechercher l’adhésion du peuple par un référendum. Et, faute de la trouver, va jusqu’à démissionner. En 1995, lors d’un précédent projet de réforme des retraites, Jacques Chirac demande au Premier ministre Alain Juppé de s’incliner face à la légitimité populaire en retirant une partie de son texte, qui concerne les régimes spéciaux, alors même que M. Juppé bénéficie d’une légitimité parlementaire inattaquable. En 2006, fort d’une légitimité institutionnelle encore incontestable, avec une loi du CPE votée et promu
« Toute réforme impopulaire génère un choc des légitimités »
Jean Garrigues
Pour l’historien Jean Garrigues, la crise actuelle porte à son apogée la déconnexion entre la légitimité institutionnelle et la légitimité, plus impalpable, de la souveraineté populaire.
[Caligula]
Robert Solé
Mes chers compatriotes, je vous ai compris.
(Applaudissements, cris, chants. « On â ga-gné ! On â ga-gné ! »)
Attendez. J’ai compris que vous n’aviez pas compris la nécessité de cette réforme des retraites qui est pourtant vitale…
Qui est le peuple ?
Stéphanie Roza
La philosophe et chargée de recherche au CNRS Stéphanie Roza analyse le concept de « peuple », de l'Antiquité à la Commune de Paris.