Que faire ?
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Le temps est revenu des manifestations paysannes, des dépôts de fumier devant les préfectures et permanences parlementaires. La colère agricole est manifeste, tout comme elle l’était au début des années 1960, au moment où les jeunes agriculteurs ruaient dans les brancards et réclamaient la parité avec le reste du monde productif français. Ils furent alors écoutés et satisfaits par les célèbres lois Pisani et, surtout, par la mise en place, à partir de 1962, de la politique agricole commune (PAC) : des prix garantis, largement rémunérateurs, sans limites de quantité, et cela pour la plupart des grandes productions agricoles. C’était le temps de la « révolution silencieuse », pour reprendre les termes du syndicaliste agricole Michel Debatisse, l’un des « jeunes » de cette époque.
Plus d’un demi-siècle a passé et la plupart des ces jeunes-là ont disparu. Leurs descendants manifestent donc dans l’indifférence d’un monde urbain qui ne les comprend plus, parce qu’ils se sentent les derniers vestiges d’une civilisation rurale qui s’éteint, et puis aussi parce que nombre d’entre eux ne parviennent plus à joindre les deux bouts. C’est qu’entre-temps la politique agricole commune a disparu, celle de 1962 qui garantissait les prix au monde agricole. Les agriculteurs européens ont ainsi été soumis à une véritable « révolution culturelle », le passage de la stabilité des prix et des marchés (du moins les plus importants) à l’instabilité totale sur une scène européenne reflétant désormais les tendances mondiales.
À vrai dire, la période 2006-2014 fut relativement favorable mais, depuis, la baisse des prix agricoles mondiaux a été quasi générale. Les prix de marché ne couvrent pas les coûts de production moyens (qui intègrent seulement un revenu de deux Smic par actif agricole). Et la vie quotidienne d’un agriculteur s’est fort compliquée avec une « troisième mi-temps » administrative dans laquelle ont excellé les génies bureaucratiques parisiens et bruxellois. Pour toucher des aides directes, indispensables à l’équilibre financier de la plupart des exploitations, les cahiers des charges n’ont cessé de grossir et de se verdir, parfois jusqu’à l’absurde. Le monde agricole se trouve désarmé face à toutes ces ONG « bien-pensantes » surfant sur d’hypothétiques peurs alimentaires pour interdire l’idée même d’intensification agricole – le bon agriculteur doit être un « petit » producteur en bio, sans glyphosate bien sûr, vendant sa production en circuit court.
Que faire alors ? Jouer la carte des « niches » lorsque cela est possible ; le bio peut-être, les IGP (indications géographiques protégées) si elles le valent, la commercialisation directe si on le peut. Essayer de s’organiser, aussi, dans une logique contractuelle, même si, en France, les autorités de la concurrence ont la fâcheuse tendance à être plus dures avec le « cartel des endives » qu’avec celui de la téléphonie. Mais il ne faut pas rêver : il n’y aura pas, comme dans les années 1960, de coup de baguette magique de la part d’un État bienveillant. Bruxelles est absent et un jour peut-être, comme en Espagne, n’y aura-t-il même plus de ministère de l’Agriculture en France…
À nous les consommateurs, les urbains, de reconnaître la place essentielle des agriculteurs dans la gestion de nos territoires, dans la qualité d’une alimentation qui, tant par sa diversité que par sa sécurité sanitaire, demeure sans équivalent. Sachons les écouter et fermer l’oreille aux faux prophètes qui font croire qu’autrefois, c’était mieux. À ce prix, peut-être, le bonheur reviendra dans le pré.
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