« Tout est parti d’une confidence susurrée à mon oreille, raconte Michel Field, directeur du pôle culture et spectacle vivant à France Télévisions. Le numéro 2 du groupe, Stéphane Sitbon-Gomez, est venu me voir et il m’a demandé : “Qu’est-ce que tu dirais de monter une chaîne de télé éphémère entièrement consacrée à la culture… Très vite ?” » Dans la tête de Michel Field, « très vite », c’était le rythme « tambour battant » du lancement de France Info, en neuf mois. Mais en janvier 2021, Field sait que l’urgence, pour le monde de la culture, se compte en semaines. Alors, tous les services de France Télévisions, de la technique à la production, ont orchestré une naissance… en quinze jours.

Le cahier des charges était précis et ambitieux : faire découvrir les jeunes artistes privés de scène, ouvrir les portes des musées désespérément fermés, parler de la culture et de ses acteurs sur tout le territoire, métropole et outre-mer. C’est ainsi qu’avec 5 millions d’euros de budget (un redéploiement interne), Culturebox a vu le jour le 1er février sur le canal 19, en déshérence depuis l’arrêt de France Ô. « Le spectacle continue ! promet l’émission quotidienne présentée par Daphné Bürki et Raphäl Yem. De notre canapé à votre salon, il n’y a qu’un pas », sourit la présentatrice. Un canapé donc, quelques lumières chaudes, et un immense tapis de scène pour laisser la place aux artistes de tous horizons qui défilent – ce jour-là, le jeune chorégraphe Mehdi Kerkouche, le chanteur aux lunettes bleues Fernõ, l’irremplaçable François Morel. L’émission propose ensuite un détour en duplex par l’auditorium Seynod d’Annecy, où les espaces sont ouverts à des troupes professionnelles qui répètent de futurs spectacles. Outre cette émission quotidienne, des captations de spectacles, pièces de théâtre, chorégraphies, concerts, visites au musée et toutes les émissions culturelles phares de France Télévisions sont diffusées sur le canal 19. 

« Quelque chose de solide est en train de se passer ! » estime Jean-Michel Ribes, le directeur du théâtre du Rond-Point, et dont l’une des pièces a déjà été diffusée sur Culturebox, avant d’autres collaborations. « Pendant des mois, le président Macron est resté sans prononcer le mot culture dans ses grands discours régaliens. Et tout à coup, ça y est ! On a enfin l’impression d’être considérés, de faire partie de la nation ! » Depuis le début de la crise, Jean-Michel Ribes est en première ligne pour porter la résistance du spectacle vivant : « Je ne comprends pas la nécessité de tuer les oiseaux de paradis pour faire vivre les éléphants. Pendant que 44 000 personnes n’allaient pas dans les théâtres parisiens, il y en avait 60 000 aux Galeries Lafayette. »

Chaque jour, son combat consiste à tenter de garder et d’entretenir le lien charnel que les artistes ont en temps « normal » avec leur public. Depuis quelques années déjà, le Rond-Point propose des podcasts, particulièrement mis en avant depuis le Covid. Le lien est retissé, numériquement. « Cela nous permet de faire parler les créateurs de lumière, les décorateurs, de montrer que le théâtre est un art collectif, poursuit Ribes. Nous mettons en avant les auteurs, qui sont les plus blessés par cette crise. Quand on ne joue pas leurs pièces, ils ne touchent pas de droits d’auteur et n’ont pas de chômage partiel. Avec le podcast, on peut rectifier ces réalités, leur redonner leur place. »

Cette résistance du monde culturel est en train de faire naître de nouvelles approches, en direction de publics qui passent habituellement en dessous des radars. C’est le credo du musée du quai Branly qui a organisé le 21 février le « premier vernissage d’une exposition retransmise à la télévision » : « Ex Africa » aurait dû ouvrir ses portes au public le 9 février. « Avec les équipes de Culturebox, nous avons saisi l’opportunité de créer un événement et d’y inviter tous les publics, notamment ceux qui n’ont jamais accès aux vernissages, explique Thomas Aillagon, le directeur de la communication du musée. Nous sommes très heureux de pouvoir faire connaître cette expo qui a nécessité des années de travail. »

Le musée du Quai Branly fait aussi partie des établissements qui ont entamé des diffusions via TikTok, le réseau social qui connaît la plus forte progression chez les jeunes de 15 à 24 ans (35 % d’entre eux se sont connectés à la plateforme de vidéos courtes en 2020 selon Harris Interactive). Le château de Versailles s’est lui aussi prêté à l’exercice des vidéos très courtes de TikTok avec par exemple cette visite en accéléré « Versailles en une minute », « likée » plus de 27 000 fois. « C’est la promesse qu’on touche de nouveaux publics, en attendant de les recevoir vraiment au musée, indique Thomas Aillagon. Nous progressons sur ces supports avec curiosité et en nous inspirant nous aussi des méthodes des jeunes TikTokeurs. »

Les canaux d’expression se multiplient. Et souvent de la façon la plus directe via les pages Facebook et les chaînes YouTube des établissements culturels eux-mêmes. Parmi les très nombreux exemples, le théâtre du Capitole de Toulouse diffuse son spectacle filmé à huis clos, Dans les pas de Noureev. La Maison de la danse de Lyon poste chaque semaine des moments forts de spectacles passés. La mairie de Villeurbanne vient de diffuser en ligne « Culturissime ! », une émission web de presque deux heures pour « redessiner la culture » de demain, avec les artistes et acteurs d’établissements culturels locaux. Madelen, la plateforme de streaming de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) assure la pérennité d’un certain patrimoine. Les 50 000 abonnés peuvent passer des premiers pas de danseur étoile de Patrick Dupond à l’Opéra de Paris aux facéties d’André Dussolier et de Francis Perrin dans les Fourberies de Scapin revisitées par la Comédie-Française. Sans oublier les concerts rock de l’émission « Chorus », comme celui des Clash : soudain une salle enfumée, des spectateurs hurlant, collés les uns aux autres s’invitent dans votre salon !

Mais quand l’écran s’éteint, la réalité s’impose. La résistance numérique a ses limites. « La voiture a remplacé le carrosse, mais le numérique ne remplacera jamais le spectacle vivant, qui engage un rapport émotionnel et physique entre vivants et vivants », souligne Jean-Michel Ribes. Un paradoxe résumé par Michel Field : « Les équipes de France Télévisions ont monté Culturebox avec un immense enthousiasme. Mais, secrètement, nous espérons tous que cette magnifique expérience s’arrête très bientôt, cela voudra dire que les salles auront rouvert. » 

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