C’est un anniversaire que nul n’aura le cœur de célébrer. Il y a bientôt un an, théâtres et musées, salles de concert et de cinéma fermaient leurs portes pour ne rouvrir qu’une poignée de semaines autour de l’été. Qui aurait songé à une aussi longue éclipse ? Les dégâts sont considérables : la culture est le deuxième secteur le plus touché par la pandémie, juste derrière l’aéronautique. En France, le gouvernement n’a pas lésiné sur les aides – on en est déjà à une année blanche et demie pour l’intermittence (que les auteurs et les plasticiens ne touchent pas). Mais la difficulté n’est pas seulement sociale : cette crise a accentué un malaise ancien, le sentiment que, dans un monde dominé par les financiers, les spécialistes de l’intelligence artificielle et désormais les modélisateurs, la voix des poètes ne porte plus. Ne manquait plus qu’un chef de bureau droit sorti de chez Kafka ait l’idée de diviser le pays en activités essentielles et non essentielles ; on sait de quel côté les saltimbanques ont été confinés ! 

En réalité, ces trente dernières années, le champ de la culture n’a cessé de s’étendre, constituant le poumon essentiel de certaines villes et régions, en lien étroit avec le tourisme. Il n’est pas anodin que les élus multiplient les demandes de réouvertures élargies, pas anodin non plus que le premier nuage blanc s’échappant du ministère de Roselyne Bachelot concerne la tenue des festivals : pas plus de cinq mille spectateurs assis et en plein air, les grands shows musicaux auront bien du mal à s’y conformer. « L’erreur serait d’avoir un nouvel été silencieux », a néanmoins expliqué le directeur des Vieilles Charrues. Si la course du virus et de ses variants ne vient pas perturber la donne, les musées et monuments nationaux pourraient suivre l’exemple de l’Italie ou de l’Espagne. 

Ces lueurs d’espoir n’effaceront pas le désespoir et la colère. La patronne du musée d’art contemporain de Lyon, Isabelle Bertolotti, et l’ancienne directrice du festival d’Avignon, Hortense Archambault, nous racontent cette année sans public, les préparations de spectacles qui finissent par tourner à vide, les artistes, danseurs et comédiens orphelins de ces échanges avec les spectateurs qui aiguisent leur inspiration. Le directeur de la Philharmonie, Laurent Bayle, s’alarme de la montée d’une forme de fatalisme. Il faut selon lui accélérer les études sur les contaminations dans les lieux culturels, mais la réouverture sera complexe, risquant de creuser le fossé entre petites et grandes salles, secteur public et privé. C’est justement la vocation des créateurs de refuser le morcellement du monde en tissant des liens universels. Leur utilité n’a jamais été si grande. 

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