Le statut des plasticiens

Contrairement aux intermittents du spectacle qui peuvent bénéficier d’un revenu à partir de jours travaillés, les artistes plasticiens n’ont, actuellement, pas de système établi pour compenser l’absence de vente d’œuvres ou d’honoraires de production. Ils fonctionnent généralement par invitation à une exposition, honoraires ou commandes publiques. Avec la fermeture des musées, ils ne peuvent pas être vus et donc vendre, et les programmations s’arrêtent… Nos expositions sont repoussées à fin 2021, à 2022, voire à 2023, quand elles ne sont pas annulées. C’est un peu la double peine. De notre côté, nous avons décidé de dédommager les artistes qui avaient commencé à travailler pour des expositions annulées, comme celle sur l’Afrique. Mais avec un budget fixe, nous sommes obligés de jongler entre dédommagements et projets. Car nous continuons à travailler sur des expositions sans savoir si elles pourront se tenir.

Les galeries privées

Certes, elles ont rouvert, il y a peu de temps. Mais ce n’est pas forcément le même public et beaucoup d’artistes n’ont pas de galerie, s’ils ne sont pas assez connus, par exemple. Notre rôle, à nous, musées, est justement de faire découvrir des artistes qui seront ensuite repérés par des galeries. C’est une étape qui manque aujourd’hui dans le soutien à la création et à l’insertion de l’artiste dans la scène. Nous devions nous faire le porte-voix de l’école des beaux-arts de Lyon, avec une exposition des étudiants. Cela n’a pas été possible. Finalement, ils ont organisé un événement dans l’école : la visibilité est restée cantonnée à un public restreint, alors que l’idée était justement d’en élargir la portée. Plus l’artiste est jeune, plus c’est compliqué. Il a une impression de temps perdu…

Un choc émotionnel

Pour les artistes qui réalisent des performances, c’est la catastrophe. Pour les vidéastes, c’est plus complexe, cela dépend de leur travail. L’artiste qui dispose d’un atelier a pu bénéficier d’une situation plus propice à la création que celui qui est coincé dans un petit appartement avec femme et enfants. Il ne faut pas oublier qu’un artiste est une personne comme une autre, tous ne se sont pas retrouvés dans des situations idéales… Pour ceux dont les expositions ont été annulées, c’est la déprime, avec l’inquiétude de ne pas obtenir les revenus espérés et la visibilité escomptée. Heureusement, pour d’autres, qui avaient des projets sur le long terme, cela s’est mieux passé. Je pense par exemple à Edi Dubien, dont l’exposition a été déplacée et agrandie. Mais globalement, on constate un choc émotionnel lié à l’absence d’issue. Si on avait un délai de réouverture, ils pourraient s’organiser, se projeter. Toute une forme d’économie s’est arrêtée.

Musée d’accueil

Avec l’étroitesse des appartements et les contraintes pesant sur les salles de répétition, nous avons reçu des demandes d’artistes qui voulaient répéter, ou réaliser un film chez nous. Nous disposons de grandes salles, avec des espaces suffisamment vastes et sans sculpture. Nous avons ainsi accueilli des compagnies de danse, des concerts de chant : cela a été filmé, avec la volonté de trouver des formes qui puissent être transmises en numérique. Puis nous avons ouvert à ceux à qui nous pouvions prêter les lieux : des étudiants, des photographes… Cela me gêne d’avoir ces lieux vides qui ne servent à rien quand je vois que les artistes ont besoin de produire. Le café du musée a été vidé pour y mettre des ateliers, avec une typologie variée. À la réouverture, nous ferons en sorte qu’il y ait des visites avec le public. Par ailleurs, nous avons maintenu les visites pour les professionnels (programmateurs, collectionneurs), avec respect des conditions sanitaires, bien sûr. Pour que les artistes déjà en place puissent être vus et ne perdent pas le bénéfice de ce qui a été fait.

Le numérique

J’ai récemment proposé une visite virtuelle en visio, avec un chat. Je voyais les gens, eux me voyaient, ainsi que la visite virtuelle du musée. Du coup, c’était une vraie visite, avec des échanges. C’est moins frustrant que quand on regarde seulement… La notion d’échange est vraiment importante. Cependant, il reste toujours une énorme distance du point de vue du contact avec l’œuvre : l’odeur, le son, le toucher, importants dans l’art contemporain. Parfois il faut manipuler une œuvre, sinon cela ne fonctionne pas : tout n’est pas transposable dans l’univers numérique. Surtout à Lyon, où nous exposons beaucoup d’œuvres « perceptuelles ». Mais nous espérons tout de même que le numérique donnera envie de se déplacer. Nous avons réfléchi à d’autres formats pour redonner de l’humain. Souvent, on ne cherche pas à connaître l’artiste plasticien, contrairement à l’acteur de cinéma ou au chanteur. Nous avons donc réalisé des vidéos d’artistes faisant visiter leur atelier ou leur jardin : on voit tout d’un coup autrement leur œuvre, avec de nouvelles clés de lecture.

Le public

Les gens nous soutiennent, notamment à travers des pétitions. Mais ils soutiennent ainsi également toute l’économie locale, car notre fermeture a une incidence non négligeable : sur les transports, pour la restauration, pour la librairie ou encore pour les entreprises qui interviennent lors de la mise en place d’expositions… Et puis l’art nous manque. Faire quelque chose ensemble, avoir un objectif : aller au musée. On se rend compte que nous ne jouons pas seulement un rôle de transmission des connaissances, mais aussi un rôle social : une discussion autour d’une œuvre, un dépliant ramené chez soi pour les enfants, des échanges avec les médiateurs… Plus globalement, dans le domaine créatif, on permet des idées : récemment, un hip-hopeur m’a dit s’inspirer de l’art contemporain. Enfin, l’art permet aussi de réinterroger les événements. Pendant le premier confinement, nous avons travaillé sur le sujet du déplacement. Nous sommes partis d’Adam et Ève chassés du paradis à aujourd’hui, en passant par les artistes coincés dans leur tête, les réfugiés, etc. Avec la question de savoir comment on s’en sort : le public se sent concerné, relativise aussi – en voyant différemment le temps présent, en se détachant de la dramaturgie permanente qui nous oppresse.

La réouverture

Nous sommes tous prêts ! Nous avons listé de nombreuses possibilités. Nous militons pour une réouverture progressive à des groupes déjà constitués : des scolaires, des centres sociaux, des Ehpad vaccinés ou des groupes au sein d’une entreprise. L’idée, c’est d’arriver à ouvrir à des groupes qui ne soient pas qu’une élite bénéficiant d’une autorisation. Nous n’attendons plus que les validations des propositions que nous avons faites, notamment sur le nombre d’un visiteur par 10 m2 ou par œuvre. Si les courbes sanitaires continuent de diminuer, cela ne devrait pas tarder, avec des horaires adaptés pour éviter de gonfler les flux aux heures de pointe. Il n’y a plus vraiment de raison de nous laisser fermés. Si c’est sûr, au lieu d’aller faire des courses autant aller au musée ! Aujourd’hui, c’est shopping ou shopping… Si on réduit une société au shopping… Que veut-on : uniquement des consommateurs ou des gens qui réfléchissent ? 

 

Conversation avec Oriane Raffin

 

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