Que signifie « gagner une guerre » aujourd’hui ? La « victoire » est un terme complètement galvaudé, vidé de son sens dans les propos d’hommes politiques qui l’utilisent dans l’espoir d’en tirer des dividendes politiques. Qu’est-ce qu’une véritable victoire ? Si, dans la théorie réaliste des relations internationales, la paix intervient toujours entre deux guerres, la victoire, elle, vient d’abord s’intercaler entre la guerre et la paix puis faire fusion avec la paix si celle-ci est juste, inclusive et durable. Mais elle reste difficile à définir. D’abord parce que la fin de la guerre n’est pas synonyme de fin de la conflictualité. Ce n’est pas parce que les armes se taisent que les tensions disparaissent. Ensuite, parce que la victoire ne peut se mesurer que sur un temps long. Enfin, parce que la guerre, depuis maintenant plus d’un siècle de codification, a dépassé le champ exclusivement militaire pour embrasser également les champs politiques et sociaux, qui jouent un rôle de plus en plus central dans le règlement du conflit et les paramètres de la paix.

Une véritable victoire, à mes yeux, doit combiner quatre étapes. D’abord, une victoire militaire. Mais celle-ci ne suffit pas, car elle risque de ne produire qu’une paix négative, c’est-à-dire un cessez-le-feu, qui relève plus de la sécurité que du processus de paix. Soit dit en passant, les conflits qui nous préoccupent aujourd’hui – Ukraine, Gaza – sont encore très loin de cette première étape.

Victoire militaire et victoire politique réunies consacrent la victoire stratégique


Ensuite, il faut une deuxième étape, celle de la victoire politique. Cela passe souvent par un changement de régime qui ne dit pas son nom. Victoire militaire et victoire politique réunies consacrent la victoire stratégique, celle qui prépare le terrain à la conclusion d’un accord de paix. Mais une paix de punition ou une paix de réconciliation ? Cette deuxième étape ne suffit pas non plus pour parler de victoire, car le politique ne propose pas une lecture objective de la fin d’un conflit. Il cherche à rassembler tout ce qui peut lui permettre de tirer un avantage stratégique, symbolique, idéologique ou historique de la fin d’une guerre pour son propre agenda.

Il faut donc un troisième temps pour s’approcher de la victoire, celui qui consiste à sceller un accord inclusif, juste et durable avec l’ennemi. Là seulement, la paix commence à se profiler à l’horizon. Toutefois, ce n’est qu’au terme d’une quatrième étape, selon laquelle tout nouveau litige entre anciens belligérants se règle sans usage de la force, que l’on peut parler de victoire au sens propre. Ainsi, si la « paix de 1945 » peut être considérée comme une véritable victoire, puisqu’elle a permis en fin de compte de transformer l’Allemagne et le Japon en alliés, ce n’est pas le cas de la « paix de 1918 », une paix de punition fondée sur un traité de Versailles (1919) humiliant pour l’Allemagne, qui renfermait les germes de la guerre qui éclaterait vingt ans plus tard.

Notons cependant que ce processus ne s’applique qu’aux conflits classiques, et non aux conflits irréguliers ou asymétriques entre une armée nationale et des réseaux terroristes. Dans ce cas, pas de victoire possible, car ces derniers ne veulent pas la paix. C’est en ce sens qu’il faut distinguer le conflit en Ukraine de celui de Gaza.

Pour arriver à une paix inclusive, le droit international doit être respecté dans les grandes lignes


Dans les conflits classiques, comment faire pour parvenir à une paix de réconciliation ? On a réussi jusque-là à contenir la guerre dans le jus ad bellum (« droit à la guerre ») et le jus in bello (« droit dans la guerre »), mais il nous reste à imaginer les contours du jus post bellum (« droit post-conflit »). Et c’est là que les choses se compliquent, entre autres car le vainqueur doit concéder une part des fruits de sa victoire stratégique à son ennemi, qui lui-même doit accepter la main qu’on lui tend. Autrement, l’humiliation prend le dessus, la conflictualité demeure, et l’on prépare le terrain à une prochaine guerre.

Pour arriver à une paix inclusive, le droit international doit être respecté dans les grandes lignes – si ce n’est pas le cas, il ne peut y avoir de paix. Il faut aussi faire en sorte que les sociétés civiles participent à la résolution du conflit et s’abstenir de faire payer à un peuple vaincu les graves délits de son régime défait. Bref, sortir de l’humiliation pour atteindre un seuil irréversible d’humilité. 

Conversation avec L.H.

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