On est toujours le touriste de quelqu’un. Beaucoup d’entre nous s’y refusent, tant le mot fleure l’inculture et l’amateurisme (« Va donc, espèce de touriste ! »). Pourtant, seuls le temps et l’argent distinguent le touriste du voyageur et de l’explorateur. Payé pour parcourir le monde, ce dernier ne manque ni de l’un ni de l’autre. Son mérite est donc mince. Le voyageur, lui, n’est qu’un touriste qui a les moyens d’aller plus loin, plus haut, plus cher, plus seul.

Le touriste dispose au contraire de peu de temps et souvent de peu d’argent. Et c’est précisément ce qui le rend admirable. Touriste, c’est un état d’esprit. Savoir économiser pendant des mois pour savourer le bonheur d’être ailleurs. Pouvoir lâcher tout, adopter cette silhouette si particulière – bob, chemisette, sandalettes, sac à dos et, surtout, le fameux pantacourt multipoches – qui permet d’identifier immédiatement le touriste (et fait la joie de son espèce symbiotique, le pickpocket).

L’art du tourisme. Un emploi sur dix dans le monde, la première source de recettes pour près de cinquante pays, des lieux emblématiques… Le monde compte chaque année 50 millions de touristes supplémentaires !

Le stakhanoviste voudrait tout absorber du monde en un temps record. Pour répondre à ses attentes, les lieux se disneylandisent, résumant les caractéristiques les plus emblématiques d’une histoire et d’une culture sur un périmètre restreint transformé en décor parfait. La disneylandisation sauve de la destruction et de l’oubli ; elle apporte emplois et revenus aux autochtones… même si certains éprouvent le pénible sentiment de devenir les figurants d’un patrimoine qui leur échappe.

Son hit-parade s’appelle l’inscription aux sites du patrimoine mondial de l’Unesco. Depuis la première liste établie en 1978, et bien que la procédure soit très sélective et compliquée, leur nombre a explosé : 1 052 ! Les touristes s’y pressent, en une visite aussi hâtive qu’incontournable, souvent résumée en un selfie posté sur Facebook. Le voyageur, lui, a eu la chance de les découvrir avant les autres. Il se rend donc juste à côté, dans un mouvement perpétuel de désenclavement du monde. D’abord confidentielles et élitistes, les destinations se démocratisent en devenant touristiques… à condition cependant de réunir les quatre P : la paix, les paysages, le plaisir, le prix. Sinon, pas de touriste.

Quand le monde devient hostile, il se réfugie dans un paradis hors-sol où tout est conçu pour son bonheur. La bulle touristique : croisières, îles artificielles, mondes tropicaux parfaits… Un quart des touristes choisissent comme destination de vacances ces lieux clos, chauds et idylliques, où ils renouent avec leurs rêves d’enfant. En 1955, alors que la classe moyenne est en plein essor et que le prix des transports baisse, le génial Walt Disney institutionnalise les parcs d’attractions en créant le premier Magic Kingdom à Anaheim, près de Los Angeles. Le plus coûteux de toute l’histoire de la firme aux grandes oreilles vient d’ouvrir en Chine, près de Shanghai. Jusque-là, elle se contentait de contrefaçons. Mais un touriste sur dix dans le monde est désormais chinois.

Le tourisme, c’est la mondialisation pacifique, la mobilité choisie et sereine, le meilleur remède à la guerre et au malheur. Pouvoir jouer les touristes, c’est être heureux. 

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