Les victimes de la guerre civile en Syrie s’amoncellent inexorablement. Depuis 2011, les titres de la presse internationale égrènent un décompte macabre : autour de 60 000 morts en novembre 2012, 100 000 en juillet 2013 et plus de 150 000 en avril 2014. Ces chiffres impressionnent, tant par leur ampleur (ils dépassent la population du XIIe arrondissement de Paris) que par leur implacable progression au fil des mois. 

À l’ère du quantitatif et de l’information en temps réel, ces chiffres sont nécessaires pour qualifier la gravité du conflit, même si la tâche des observateurs et des associations qui se consacrent au comptage est complexe. Concernant la Syrie, ce décompte pouvait bénéficier de la légitimité du Haut-Commissariat aux droits de l’homme jusqu’à son communiqué de juillet 2013 annonçant 91 901 victimes. 

D’où provient ce chiffrage, précis jusqu’à l’unité ? D’une ONG de statisticiens travaillant principalement aux États-Unis et en Allemagne : Human Rights Data Analysis Group. Pour réaliser ce comptage, ces spécialistes du traitement de données n’ont pas mis les pieds en Syrie. L’origine des informations provient de sept ONG et du gouvernement syrien lui-même. 

Dans un contexte où la crédibilité des sources est un enjeu déterminant, les décomptes de victimes doivent s’appuyer sur des listes de noms documentés (y compris par des photos ou vidéos). Des ONG spécialisées forment des observateurs locaux, leur donnent une méthodologie et les encadrent, afin de construire un comptage des victimes aussi complet que possible.

Jusqu’en juin 2013, l’ONG Human Rights Data Analysis Group récoltait ces listes de provenances très diverses : 2 469 noms transmis par le gouvernement syrien, 45 416 par l’observatoire syrien pour les droits de l’homme (ONG), 62 386 par le Violations Documentation Center (ONG liée aux militants antirégime)… Au total, 263 055 cas documentés qui ont été systématiquement rapprochés les uns des autres afin d’identifier les doublons et dont la crédibilité a été vérifiée en fonction de la date et du lieu de décès – pour arriver aux 91 901 noms, mêlant indifféremment civils et combattants des divers bords.

En juillet 2013, le Haut-Commissariat a estimé que les conditions du conflit ne permettaient plus d’établir ce dénombrement de façon fiable. Des ONG syriennes continuent, pour leur part, de publier sur leurs sites respectifs leur comptabilité, parfois reprise par la presse. Ce fut le cas en avril dernier à propos de l’estimation à 150 000 morts établie par l’Observatoire syrien pour les droits de l’homme (piloté depuis Coventry en Grande-Bretagne).

L’enlisement du conflit et sa complexité croissante se traduisent donc par une plus grande opacité du dénombrement des victimes. Si les enjeux de cette comptabilité apparaissent aujourd’hui difficiles à contester, la souffrance du peuple syrien est plus que jamais une réalité impossible à quantifier.

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