« Un colonialisme qui ne dit pas son nom »
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Pourquoi, en tant qu’historien, vous êtes-vous intéressé à l’avenir de la planète ?
Je suis préhistorien de formation, mais c’est comme si j’avançais de plus en plus dans le temps : j’ai travaillé sur la préhistoire, donc, puis sur l’histoire coloniale, ensuite sur le présent démocratique, et je m’intéresse désormais au futur climatique.
En quoi la situation climatique actuelle représente-t-elle, selon vous, une forme de « colonisation » ?
Mes deux grands livres sur l’histoire coloniale, à propos du Congo et de l’Indonésie, sont le produit de douze ans de recherches et d’entretiens. Quand on a cette compréhension de la dynamique coloniale, il est assez facile de la reconnaître dans d’autres contextes, même les plus insolites à première vue.
On a tendance à penser que le colonialisme, si affreux soit-il, appartient au passé, mais ce n’est pas vrai. Cet été, j’ai vu une carte du monde qui montrait les pays qui émettent le plus de gaz à effet de serre et ceux qui souffrent le plus du changement climatique [voir les cartes ci-contre]. J’ai cru que c’était une copie de la carte coloniale. D’un côté, les anciens pays colonisateurs, plus la Chine et quelques autres qui ont rejoint le club plus récemment. De l’autre, les pays qui étaient il y a peu encore sous le joug colonial et qui se trouvent désormais en première ligne. Pensez à la récente famine à Madagascar, officiellement reliée au changement climatique, ou aux villages du Bangladesh et des îles du Pacifique, qui disparaissent à cause de la montée des eaux.
Il y a eu l’été dernier, au Pakistan, des inondations incroyables : 12 % du pays était sous l’eau, 33 millions de personnes ont été touchées, des milliers sont mortes. La raison : des pluies liées au réchauffement climatique, alors que le Pakistan émet très peu de gaz à effet de serre. Qui sont les principaux responsables de ces émissions ? Les pays du Nord. Si l’on regarde la quantité de gaz à effet de serre qu’on peut émettre avant d’atteindre le seuil de 1,2 degré de réchauffement planétaire, l’essentiel est déjà émis. C’est comme un gâteau : les pays riches ont mangé la part des autres. Ça a logiquement été le sujet principal de la COP27 à Charm el-Cheikh en novembre 2022 : le Pakistan et les autres pays du Sud se sont retournés contre les pays les plus émetteurs.
Peut-on parler pour autant de colonisation, un système qui impliquait l’appropriation des corps et la brutalité ?
Oui, les mêmes mécanismes sont à l’œuvre. Le colonialisme est une forme d’exploitation basée sur l’avidité et un certain égoïsme : c’est bon pour notre économie et, en échange, on va donner un peu d’enseignement et de réconfort religieux, construire quelques hôpitaux, quelques routes… C’est ce qu’on appelle le « troc colonial ». Or notre façon de coloniser l’avenir est presque encore pire, puisqu’il n’y a pas même de troc. Notre action, aujourd’hui, pèse lourdement sur les conditions de vie des générations futures, leur santé, leurs ressources naturelles, leur économie, leur façon de vivre, même leur façon de mourir. Nous nous arrogeons une emprise monumentale sur la vie de centaines de millions de gens qui viendront après nous.
« Nous nous arrogeons une emprise monumentale sur la vie de centaines de millions de gens qui viendront après nous »
Dans l’hémisphère sud, ce futur a déjà commencé, et il arrive beaucoup plus vite que ce que j’aurais imaginé. Trop longtemps, on a représenté le réchauffement climatique par des image
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