Les pays qui concentrent l’essentiel des besoins climatiques d’investissement – que ce soit pour l’atténuation ou l’adaptation – n’en attirent aujourd’hui qu’une fraction minime. Le fonds vert pour le climat n’a jamais été abondé à hauteur des 100 milliards de dollars annuels promis en 2016, montant déjà très inférieur aux besoins et constitué essentiellement de prêts : en clair, on demande aux pays à bas revenus de s’endetter encore plus alors qu’ils ne peuvent déjà pas rembourser leurs dettes existantes. Pire, les pays les plus pauvres, qui n’ont ni émis les gaz à effet de serre dont le stock constitue notre épée de Damoclès, ni atteint un stade de développement satisfaisant pour leurs populations, subiront prioritairement les dommages du réchauffement climatique. Pour eux, il n’y a pas de justice climatique mais une double peine.

Et, malheureusement, ajouter un adjectif comme « verte » ou « durable » à la finance privée n’a changé ni sa nature ni son paradigme.

Comment y remédier ? L’argent public ne peut pas tout. Et, malheureusement, ajouter un adjectif comme « verte » ou « durable » à la finance privée n’a changé ni sa nature ni son paradigme. La promesse de maximisation du rendement – ajusté du risque à court terme – reste la loi d’airain des acteurs financiers et, si les projets durables ne sont pas rentables ou s’ils s’avèrent trop risqués, ils ne se réaliseront pas, quelle que soit l’urgence écologique ou climatique. En particulier, l’enjeu de l’adaptation des pays pauvres ne présente aucun intérêt du point de vue des marchés.

L’échec de l’initiative équatorienne Yasuni-ITT illustre cette impasse de manière spectaculaire. En 2013, le président Rafael Correa avait demandé 3,6 milliards de dollars à la communauté internationale en échange de la non-exploitation pétrolière de son sous-sol, défendant « un exemple extraordinaire d’action collective mondiale, qui [aurait permis] non seulement de réduire le réchauffement global pour le bénéfice de toute la planète, mais aussi d’inaugurer une nouvelle logique économique pour le XXIe siècle. » L’idée ne pouvait qu’être juste puisque la renonciation au développement de nouveaux gisements est désormais la priorité absolue selon le Giec. Outre le non-rejet de gaz à effet de serre, le projet avait pour objectif d’éviter la déforestation, de protéger la biodiversité et de respecter la vie des groupes indigènes. Mais le fonds mis en place par l’Équateur a reçu moins de 1 % de la somme demandée et le projet de sanctuarisation a été abandonné.

Pourquoi l’Équateur renoncerait-il à exploiter son pétrole quand TotalEnergies lance le projet Eacop en Ouganda et en Tanzanie, et que, sur les marchés, on se bouscule toujours pour financer l’industrie du gaz et du pétrole ?

L’inauguration d’une nouvelle logique économique ne s’est pas réalisée… Et nous ne sortirons pas de l’impasse actuelle tant que les profits pétroliers explosent, car le coût d’opportunité – qui se mesure à la perte provoquée par le non-emploi de la ressource pétrolière, ici 50 % des profits « perdus » – demeure le principe de base. Pourquoi l’Équateur renoncerait-il à exploiter son pétrole quand TotalEnergies lance le projet Eacop en Ouganda et en Tanzanie, et que, sur les marchés, on se bouscule toujours pour financer l’industrie du gaz et du pétrole ? Ainsi BlackRock, le géant mondial de la gestion d’actifs, a rappelé en octobre 2022 qu’il respectait sa responsabilité fiduciaire en donnant une priorité absolue aux intérêts financiers de ses clients, sans aucun rapport avec le respect de seuils écologiques absolus. BlackRock confirmait à cette occasion avoir investi 170 milliards dans des sociétés américaines cotées du secteur de l’énergie.

L’offre d’or noir reste donc une rente taboue pour les sociétés et leurs financeurs. C’est seulement une fois sorti du pipeline et brûlé qu’il faut régler le problème créé, malgré l’absence de toute technologie crédible de capture de carbone. À l’époque du dossier Yasuni-ITT, le ministre libéral allemand qui en était chargé avait déclaré : « Nous ne sommes pas prêts à payer pour ne rien faire. » Pas d’argent donc, et pas non plus de précédent inacceptable qui pourrait conduire d’autres pays producteurs à présenter des demandes d’indemnisation. Désolé les Kichwas, nous avons donné les clés politiques de votre avenir aux professionnels de la finance. 

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