« Nos portes sont ouvertes »
Il y a deux ans Manuel Valls parlait d’une situation d’« apartheid ». Où en sont les banlieues aujourd’hui ? Notre reporter est allée à la rencontre de jeunes, d’éducateurs, de professeurs et de policiers qui évoquent leur quotidien, la solidarité et les tensions. Témoignages recueillis par Manon Paulic.Temps de lecture : 3 minutes
Habitante de Stains, en Seine-Saint-Denis, Maïmouna Haidara a été lauréate 2014 du concours d’expression publique Eloquentia organisé par l’université Paris VIII.
"Mes voisins sont d’origines malienne, philippine, portugaise, française…et bretonne ! Ils sont athées, musulmans, chrétiens. Et parmi les chrétiens, il y a des catholiques et des protestants. Et parmi les protestants, il y a des évangélistes. Ayant grandi en banlieue, je suis capable de m’asseoir autour d’une table et d’avoir une conversation avec chacun d’entre eux. À Stains, j’ai appris les codes du “vivre ensemble”.
De l’autre côté du périph’, on parle de communautarisme, un mot dont la connotation est toujours négative. Pourquoi ? Ce que je vois, moi, c’est de la solidarité et du partage. Pendant les fêtes musulmanes, on s’échange des plats de célébration musulmane. Pendant les fêtes chrétiennes, on nous offre des plats de célébration chrétienne. On se mélange au quotidien, au supermarché comme aux fêtes de quartier.
En banlieue, le rapport au voisinage est différent. Nos portes sont ouvertes. S’il me manque du sel, je vais frapper en face. On n’imagine pas faire ça à Paris. Les habitants n’ont pas les codes. J’en ai invité certains à venir voir une pièce au théâtre dans ma ville. Personne n’est jamais venu. D’un point de vue parisien, la banlieue, ce n’est pas dans la norme.
C’est en étudiant à la Sorbonne que j’ai compris qu’il existait une norme et que je n’en faisais pas partie. C’est violent. J’avais fait toute ma scolarité en Seine-Saint-Denis, dans une bulle de bonheur. Soudain, j’ai pris conscience que j’étais noire, musulmane, pauvre et originaire de banlieue.
J’aimerais qu’on arrête de nous considérer comme des parias de la République. J’habite à Stains depuis vingt-six ans et j’adore ma ville. Évidemment, tout n’est pas rose : on a voulu parquer de la pauvreté au même endroit, ça engendre forcément des problèmes.
La plupart des villes préfèrent payer des amendes plutôt que de respecter le quota de logements sociaux. Mais il s’agirait de prendre aussi un peu de hauteur. Il se passe d’autres choses plus intéressantes que des vols à l’arraché. Stains a été la première ville à mettre en place un contrat local étudiant. Il permet aux étudiants de niveau bac + 3 d’obtenir une bourse de 2 500 euros en échange d’heures de bénévolat dans les associations de la ville. Je m’y suis investie pendant trois ans et j’y ai fait mes premières permanences de droit. Aujourd’hui, je suis élève-avocate.
Stains, c’est aussi la culture : son tissu associatif, ses ateliers d’écriture, son Studio Théâtre, géré par une femme, dans lequel je suis élève depuis l’âge de 11 ans. Je refuse de faire comme certains de mes amis qui adoptent un langage qui n’est pas le leur ou qui changent d’idées politiques pour plaire aux autres. Cette stigmatisation des banlieues, ce n’est plus possible."
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