l’ADN et l’ARN

L’ARN copie de l’ADN

L’adn est double brin ; il est pérenne et ne quitte presque jamais le noyau de la cellule.Contrairement à l’ADN, l’ARN ne forme qu’un seul brin. Il est beaucoup plus fragile que l’adn et se dégrade très rapidement. Il existe plusieurs types d’arn : les arn messagers (ARNm), qui codent la fabrication de protéines, et des arn non codants, comme l’arn interférent.

 

L’ARN messager

 

Créer des protéines

L’ARN messager thérapeutique injecté dans l’organisme est un ARN messager synthétique, fabriqué in vitro. Une fois dans la cellule, il est traduit en protéine par les ribosomes. La technologie à ARN messager utilise la machinerie cellulaire pour lui faire synthétiser des protéines spécifiques « à la demande ». Un moyen révolutionnaire pour fournir au corps une protéine censée faire réagir le système immunitaire – comme dans la vaccination – ou une protéine qui, en faisant défaut, entraîne un état pathologique. La thérapie par ARN messager ouvre, a priori, un très grand champ des possibles. Entamée il y a plus de vingt ans, la recherche autour de l’ARNm est en plein boom depuis son éclatante réussite contre le coronavirus. « 2020 a été un accélérateur extraordinaire, qui va permettre de réinvestir de l’argent dans la recherche sur l’ARNm, dans toutes sortes d’utilisations », se réjouit Steve Pascolo, un des pionniers de la technologie ARNm et cofondateur de CureVac, le troisième laboratoire dans la course au vaccin. Mais la prudence s’impose à ce stade : malgré l’immense potentiel de l’ARNm, les applications thérapeutiques concrètes sont encore rares.

 

Le vaccin arn contre le covid-19

La vaccination classique repose sur l’administration d’un agent infectieux atténué ou inactivé qui va déclencher une réponse immunitaire dirigée contre le pathogène. Les vaccins contre le Covid de Pfizer-BioNTech et de Moderna, développés en moins d’un an, reposent sur la technologie de l’ARNm, plus efficace et plus rapide. Le principe est d’apporter à l’organisme un petit morceau du « plan de fabrication » du Sars-CoV-2, sous la forme d’un ARNm qui code pour la protéine Spike, une protéine caractéristique du virus, située à sa surface et qui permet à notre corps de le détecter. Le brin d’ARNm est encapsulé dans une bulle lipidique, qui lui permet d’atteindre les cellules musculaires et d’y pénétrer facilement. Une fois administré dans le bras, le vaccin met nos cellules à contribution et leur laisse le soin de produire elles-mêmes la protéine Spike : elle permet d’éduquer notre système immunitaire et de le préparer à réagir si le « vrai virus » surgit.

 

Des recherches tous azimuts 

En cancérologie

La technologie à ARNm pourrait devenir une arme de plus dans la lutte contre le cancer. L’idée n’est pas nouvelle : les recherches en cancérologie sont antérieures à la pandémie de Covid-19.

Lorsque les cellules deviennent cancéreuses, elles expriment à leur surface des protéines mutées – qu’on appelle des néoantigènes tumoraux – que les cellules en bonne santé, elles, n’expriment pas. Le système immunitaire est capable de repérer ces mutations, comme il sait reconnaître un virus ou une bactérie. Ce qui lui permet de tuer ces cellules différentes avant qu’elles ne puissent se propager. Mais une cellule tumorale peut échapper au système immunitaire et proliférer : une tumeur se forme alors. Dans un grand nombre de cancers, le système immunitaire est comme mis en sommeil par la tumeur, ce qui permet aux cellules tumorales de passer sous les radars et de proliférer. Les scientifiques cherchent donc à réveiller le système immunitaire pour qu’il reprenne le contrôle et réattaque la tumeur. Le principe est celui de l’immuno-oncologie, en plein boom depuis plusieurs années. Les immunothérapies contre le cancer actuellement sur le marché et utilisées en clinique depuis une dizaine d’années sont dites non spécifiques : le système immunitaire est en effet boosté par des mécanismes nombreux et complexes, mais il ne s’attaque pas spécifiquement aux cellules cancéreuses ; les effets secondaires (notamment au niveau de la peau, des ongles…) sont nombreux.

L’ARNm permet de produire des vaccins anticancer qui ciblent spécifiquement les cellules cancéreuses. En injectant l’ARNm qui code pour les néoantigènes tumoraux, les cellules se mettent à les produire. En réaction, le système immunitaire s’attaque spécifiquement aux cellules tumorales qui produisent ces néoantigènes, et donc à la masse tumorale.

La force de ces nouvelles technologies : leur action potentielle contre tous les types de cancers. Mais aussi le fait qu’elles permettent des soins personnalisés. Les protéines mutées sont en effet propres à chaque tumeur et à chaque patient. à partir d’une biopsie de la tumeur, il est possible de séquencer son génome, d’identifier les mutations présentes et de fabriquer en trois mois l’ARNm correspondant. BioNTech mène actuellement des essais cliniques de phase  II (qui déterminent la tolérance et l’efficacité de la molécule auprès de volontaires malades) avec cette technologie. Si les espoirs sont confirmés, ce vaccin anticancer pourrait être le prochain médicament ARNm approuvé.

Le potentiel de l’ARNm en cancérologie ne se limite pas à l’immunothérapie. Ces nouvelles technologies peuvent aussi permettre d’amener les cellules à produire elles-mêmes les protéines « médicaments » dont elles ont besoin. Celles-ci, contrairement à l’ARNm vaccinal, passeront inaperçues du système immunitaire grâce à une modification de l’ARNm synthétique injecté. Cette technologie est aussi à l’essai : BioNTech et Moderna travaillent à injecter dans des mélanomes – des tumeurs de la peau, donc en surface et facilement accessibles – des ARNm qui seront traduits en protéines thérapeutiques.

En cardiologie : réirriguer un cœur malade

Le laboratoire Moderna a entamé des tests de phase II avec un ARNm qui code pour le VEGF – en anglais vascular endothelial growth factor –, une protéine dont le rôle dans l’organisme est d’enclencher la formation de nouveaux vaisseaux sanguins à partir de cellules-souches. Cet « ARN-médicament » pourrait être une solution pour aider à la revascularisation des tissus cardiaques après un infarctus et limiter l’insuffisance cardiaque qui en découle. « En pratique, ils l’injectent juste après un infarctus du myocarde dans la partie du cœur qui a “souffert” par manque d’apport sanguin. Pendant quelques jours, l’ARNm va éventuellement faire produire de nouveaux vaisseaux au cœur, qui pourront irriguer de nouveau les tissus », explique Steve Pascolo. Le traitement pourrait aussi servir dans d’autres maladies vasculaires ischémiques, c’est-à-dire dues à un arrêt ou à une insuffisance de la circulation sanguine dans une partie du corps ou un organe, qui prive les cellules d’apport d’oxygène et entraîne leur nécrose.

En ophtalmologie

L’œil est un organe idéal pour recevoir des thérapies à base de matériel génétique : il est facile d’accès et il constitue surtout un milieu clos, isolé du reste de l’organisme. En pratique, lorsque l’ARNm est injecté dans le bras, par exemple, il passe très facilement dans la circulation sanguine. Alors que dans l’œil, le médicament pourrait rester in situ plus longtemps pour exercer son action thérapeutique. Parmi les maladies ophtalmologiques potentiellement éligibles aux traitements par ARNm : les rétinopathies d’origine génétique, qui se caractérisent par une perte progressive et graduelle de la vision évoluant généralement vers la cécité. Elles sont dues à la mutation de gènes impliqués dans le fonctionnement et la régulation des cellules de la rétine, les photorécepteurs, indispensables pour la vision. Ces gènes mutés produisent des protéines déficientes, incapables d’exercer leur rôle de « recyclage » des pigments dans l’œil – qui s’accumulent alors – et aboutissent à l’installation des symptômes. Apporter l’ARNm capable de faire produire les bonnes protéines pourrait tout changer…

 En pneumologie

Toutes sortes d’indications et de voies d’administration sont à l’étude pour essayer de tirer profit du potentiel de l’ARNm. Par exemple, faire respirer des molécules d’ARNm à des personnes atteintes de mucoviscidose. Dans cette maladie génétique qui touche les poumons, le gène qui code pour la protéine CFTR est muté (anormal). La protéine CFTR est cruciale pour les fonctions respiratoires : elle sert de canal pour transporter les ions chlorures de l’intérieur vers l’extérieur des cellules des muqueuses du système respiratoire. Chez les personnes ayant la mucoviscidose, elle dysfonctionne : les ions chlorure ne passent plus correctement à travers les cellules, ce qui induit une inflammation chronique et un épaississement du mucus qui tapisse l’intérieur des poumons. « On essaie d’acheminer de l’ARNm dans les poumons en le faisant respirer aux malades, pour leur faire produire la “bonne” protéine », indique Steve Pascolo. Pour l’instant, les tentatives sont infructueuses. « Il faut amener de grosses doses d’ARNm, et recommencer souvent. Parce que la zone à traiter est grande et que l’ARNm est stoppé par la surabondance de mucus dans les poumons. Qui dit grosses doses dit possible réaction inflammatoire à terme », admet le scientifique.

En médecine esthétique

Les applications de la technologie ARNm pourraient aller des plus utiles… aux plus futiles. Même la médecine esthétique pourrait profiter des prouesses de l’ARN. Dans le tissu conjonctif de notre peau, qui joue un rôle de soutien, se trouve notamment une protéine, l’élastine. C’est une protéine qui donne sa structure à la peau et lui confère son aspect élastique et rebondi. Au fur et à mesure de notre vieillissement – le phénomène s’amorce dès la fin de l’adolescence –, nous produisons de moins en moins d’élastine : la peau perd en résistance, elle semble moins ferme et les rides apparaissent. L’ARNm pourrait éventuellement venir nous donner un coup de jeune. « On pourrait injecter directement sous la peau l’ARN messager qui permettra de resynthétiser de l’élastine », s’amuse Steve Pascolo. Un soin de beauté qui n’existe pour l’instant pas et qui pourrait avoir un certain coût…

En infectiologie

L’incroyable succès de l’ARNm contre le Covid pourrait laisser penser que la méthode va nous délivrer de toutes sortes de maladies infectieuses. En théorie, en effet, les vaccins à ARNm peuvent être utilisés contre presque n’importe quel agent pathogène. Le paludisme, la tuberculose, l’hépatite B… ce ne sont là que quelques-unes des maladies qui pourraient être concernées. Certains traitements font même déjà l’objet d’essais sur l’homme. Les vaccins à ARNm contre la grippe induisent la production d’anticorps à des niveaux élevés. « Et maintenant que les infrastructures existent pour produire des vaccins à ARNm à très grande échelle, il semble évident que le mode de fabrication actuel du vaccin antigrippal, long et compliqué, va être abandonné au profit de l’ARNm », assure Steve Pascolo.

Pour le VIH, les choses sont plus compliquées. La biotech américaine Moderna a annoncé travailler sur un vaccin. Et les espoirs sont fondés. « Contre le VIH, on peut envisager d’injecter un “cocktail” d’ARNm pour cibler le virus à différents endroits. Cela, aucun autre vaccin ne peut le faire », poursuit le chercheur. Mais les scientifiques s’entendent sur un point : la technologie ARNm ne va pas, à elle seule, vaincre ce virus complexe, capable de contourner continuellement les réponses immunitaires et qui nous « résiste » depuis trente ans. 

 

Les autres arn

 

Empêcher la synthèse protéique

Dans les cellules, il existe aussi des micro-ARN, beaucoup plus petits que les ARNm, et qui ne sont pas traduits en protéine. Leur rôle est, au contraire, de faire « dérailler » cette traduction. « Les brins de micro-ARN vont s’accrocher au brin d’ARNm à un endroit précis de sa séquence. Lorsque le ribosome coulisse le long de l’ARNm pour le traduire, il bute sur l’obstacle : la protéine ne sera pas synthétisée. Un peu comme si le micro-ARN venait bloquer la fermeture éclair », explique Florence Cabon, directrice de recherche Inserm au Centre de recherche en cancérologie de Toulouse et directrice scientifique de la société de biotechnologie SeleXel. C’est ce qu’on appelle l’ARN interférent. Là où les ARNm thérapeutiques font synthétiser des protéines à nos cellules, les ARN interférents (ARNi) utilisés comme médicaments « musellent » le génome et empêchent la fabrication de protéines qui nous rendent malades.

 

Les applications thérapeutiques

Empêcher la synthèse protéique

Dans les cellules, il existe aussi des micro-ARN, beaucoup plus petits que les ARNm, et qui ne sont pas traduits en protéine. Leur rôle est, au contraire, de faire « dérailler » cette traduction. « Les brins de micro-ARN vont s’accrocher au brin d’ARNm à un endroit précis de sa séquence. Lorsque le ribosome coulisse le long de l’ARNm pour le traduire, il bute sur l’obstacle : la protéine ne sera pas synthétisée. Un peu comme si le micro-ARN venait bloquer la fermeture éclair », explique Florence Cabon, directrice de recherche Inserm au Centre de recherche en cancérologie de Toulouse et directrice scientifique de la société de biotechnologie SeleXel. C’est ce qu’on appelle l’ARN interférent. Là où les ARNm thérapeutiques font synthétiser des protéines à nos cellules, les ARN interférents (ARNi) utilisés comme médicaments « musellent » le génome et empêchent la fabrication de protéines qui nous rendent malades.

Des pistes de recherche

Des dizaines d’essais cliniques sont en cours avec des ARNi. La plupart en sont encore à des phases précliniques ou aux essais de phases I (qui se déroulent sur des volontaires sains dans le simple but d’étudier la toxicité du produit). Les champs thérapeutiques sont extrêmement variés : cancers, maladies cardiométaboliques (hypercholestérolémie, NASH ou maladie du foie gras non alcoolique…), maladies infectieuses (Zika, Ebola, VIH-Sida, hépatites…), hémophilie, maladies auto-immunes (sclérose en plaques, lupus…) et quantité de maladies rares. Difficile de dire à ce jour quelles pistes se révéleront concluantes.

 

La technologie CRISPR-cas9

C’est certainement la découverte révolutionnaire de ces dernières années. CRISPR-Cas9 est constitué d’un « ARN guide », qui cible une séquence d’ADN particulière, et de l’enzyme Cas9, qui découpe et corrige l’ADN au cœur des cellules. Myopathie de Duchenne, maladies du sang, cécités héréditaires… ces ciseaux moléculaires suscitent d’immenses espoirs de traitement des maladies génétiques. Les travaux de recherche sont très nombreux. Et leurs folles promesses commencent à se concrétiser. Au printemps 2021, un essai clinique sur des patients atteints de formes graves de drépanocytose s’est avéré concluant. La drépanocytose, aussi appelée anémie falciforme, est une maladie génétique héréditaire très répandue qui touche les globules rouges. Elle est caractérisée par une anomalie de l’hémoglobine, principale protéine du globule rouge. En un an et demi, les symptômes des patients traités ont régressé, et ils ont pu se passer des transfusions sanguines qui étaient auparavant nécessaires pour les maintenir en vie.

  

 

Réalisation Claire Martha

ConceptionHéloïse Rambert,Aline Richard Zivohlava,Patrice Trapier

Experts scientifiquesSteve Pascolo, Florence Cabon

© le 1

 

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