Les ARN sont aujourd’hui sous le feu des projecteurs. Ils doivent ce succès au développement récent de l’épigénétique, néologisme créé en 1940 par le biologiste anglais Conrad Waddington. L’épigénétique est la branche de la biologie moléculaire qui étudie les rapports entre les gènes et les caractères individuels produits à partir d’eux, les rapports de traduction entre génotype (code) et phénotype (individu particulier). Cette traduction a lieu à travers une série de mécanismes qui modifient la fonction des gènes en les activant ou en les désactivant. Dans la mesure où ces modifications n’altèrent jamais la séquence ADN elle-même, on dit alors que l’épigénétique travaille à la « surface » (épi) de la molécule.

De quelle nature sont ces changements de « surface » ? Un des trois grands acteurs de l’épigénétique, avec le nucléosome et la méthylation de l’ADN, est l’ARN. Son rôle est prépondérant, comme si la fonction de passeur était aussi décisive que celle du code source. Peut-être même davantage ! La question fondamentale de la biologie du développement est de savoir si les gènes contiennent toute l’information nécessaire à la formation de l’embryon et de l’organisme adulte. De plus en plus de scientifiques défendent l’idée selon laquelle, plus qu’un programme qui ne ferait que se dérouler, « c’est le système constitué par l’organisme et son environnement qui en réalité se développe » (pour reprendre l’expression employée par Thomas Pradeu dans l’ouvrage collectif Précis de philosophie des sciences, paru chez Vuibert en 2011).

Cette nouvelle orientation de la « logique du vivant » provient en grande partie des résultats du séquençage du génome humain. Le 15 février 2001, la revue scientifique américaine Nature publie la séquence presque complète des trois milliards de bases de ce génome. Le résultat surprend : le génome humain ne compte que 30 000 gènes. À l’intérieur des chromosomes résident de longs enchaînements d’ADN qui, en l’état actuel des connaiassances, ne semblent pas correspondre à des gènes et auxquels on ne peut attribuer aucune fonction particulière. Le séquençage du génome n’a donc pas apporté les révélations que l’on en attendait : une explication par le tout-génétique.

Le Prix Nobel François Jacob l’annonçait déjà en 1970 dans son livre La Logique du vivant : « Tout n’est pas fixé avec rigidité par le programme génétique. Bien souvent, celui-ci ne fait qu’établir des limites à l’action du milieu, ou même donner à l’organisme la capacité de réagir, le pouvoir d’acquérir un supplément d’information non innée. Des phénomènes tels que la régénération ou les modifications induites par le milieu chez l’individu montrent bien une certaine souplesse dans l’expression du programme. »

La métaphore adéquate pour préciser le rôle de l’ARN serait celle de l’interprétation musicale. Il peut y avoir plusieurs façons d’interpréter une partition, mais la partition ne change pas. Les vaccins épigénétiques ne sont pas des thérapies géniques. L’ARN messager est fragile et instable, on le sait, d’où la nécessité de le conserver souvent à très basse température. Mais cette fragilité est paradoxalement signe de puissance : un champ de recherche inédit est en train de s’ouvrir, non seulement pour la compréhension des épidémies et des pandémies, mais aussi dans le traitement de certains cancers (immunothérapie). Nous sommes aux prémices d’une nouvelle révolution biotechnologique. Loin de prouver la fixité de l’individualité biologique, elle révèle au contraire la plasticité des génomes. 

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