« Que l’on donne le prix Nobel à cette femme ! » tweetait en décembre dernier le célèbre biologiste Richard Dawkins. Sourire franc, regard décidé, Katalin Karikó fait depuis quelques mois la une des journaux internationaux. Pourtant, cette chercheuse d’origine hongroise était jusqu’alors une inconnue. Katalin Karikó est née en 1955 dans une famille pauvre du nord de la Grande Plaine de Hongrie. Son père, boucher, participe à l’insurrection de Budapest durement réprimée par les chars soviétiques. Dès son plus jeune âge, Katalin Karikó rêve de devenir biochimiste. Après une scolarité modèle et des étés passés dans des camps de vacances communistes, elle obtient une bourse d’État et intègre la prestigieuse université de Szeged, bastion de la recherche scientifique nationale.

C’est là que la jeune étudiante découvre le sujet qui la passionnera toute sa vie : l’acide ribonucléique, ou ARN, dont elle entrevoit rapidement les usages potentiels. Mais les recherches sont coûteuses et l’université hongroise manque cruellement de moyens. En 1985, Karikó est licenciée. À contrecœur, la jeune femme se décide à quitter son pays natal. Au terme d’une longue et infructueuse recherche d’emploi en Europe, elle est contrainte de faire des États-Unis sa terre d’exil. Pour payer le voyage, elle vend au marché noir la voiture familiale et dissimule ses économies dans l’ours en peluche de sa petite fille. Le 31 juillet 1985, Katalin Karikó, son époux, l’ingénieur Béla Francia, et leur fille de 2 ans, Zsuzsanna, future championne olympique d’aviron, traversent le rideau de fer. Aller simple pour les États-Unis !

Katalin Karikó a 30 ans. Installée dans la banlieue de Philadelphie, elle commence à travailler comme chercheuse à la Temple University avant de rejoindre la prestigieuse université de Pennsylvanie. À cette époque, la plupart des recherches se focalisent sur l’ADN et la thérapie génique. Karikó, elle, reste fidèle à son intuition et poursuit ses travaux sur l’ARN, convaincue qu’il peut permettre au système immunitaire de fabriquer des protéines capables d’éliminer les maladies. Thérapie contre le cancer, lutte contre les maladies infectieuses… les possibilités seraient infinies. Pendant des années, Karikó ne prend pas un jour de congé et passe des nuits entières dans son laboratoire, tentant de résoudre un problème de taille : l’injection de l’ARN à des souris révèle une réaction très violente du système immunitaire, qui détruit l’ARN avant même qu’il ait pu lancer la fabrication de la protéine. La réponse inflammatoire est d’une telle intensité qu’elle entraîne le plus souvent la mort de la souris – et rend toute expérimentation sur les humains impossible.

Commence une longue traversée du désert. La piste de l’ARN est jugée trop hasardeuse par une grande partie de ses collègues. Ses demandes de bourse sont rejetées les unes après les autres. Pâtissant également de la misogynie d’un monde scientifique encore très masculin, ses articles sont ignorés par la communauté. Son acharnement va même lui coûter son poste. En 1995, l’université de Pennsylvanie lui lance un ultimatum : elle sera rétrogradée si elle n’abandonne pas ses recherches sur l’ARN. Refusant de se soumettre, Karikó passe outre la rétrogradation, l’impossibilité de devenir professeur, la baisse de salaire et l’humiliation, et poursuit ses travaux. Une farouche détermination qui n’est pas sans rappeler celle de son compatriote Ignác Semmelweis, père de l’asepsie, une centaine d’années auparavant.

C’est lors d’une rencontre fortuite autour d’une photocopieuse que les choses vont enfin basculer. En 1997, Karikó fait la connaissance de Drew Weissman, médecin immunologiste. Ensemble, ils parviennent à enrayer la réaction inflammatoire en modifiant un fragment d’ARN nommé uridine. Quelques années plus tard, ils font un pas de plus en parvenant à enrober l’ARN dans des particules lipidiques qui empêchent leur dégradation et facilitent leur pénétration dans les cellules. L’ARN est enfin utilisable. Leurs résultats sont publiés en 2015 et leur confèrent enfin une notoriété certaine auprès de la communauté scientifique. Ils déposent un brevet qui sera revendu par l’université de Pennsylvanie à une entreprise de biotechnologie pharmaceutique, avant d’être racheté par Moderna et BioNTech.

Une seconde rencontre va être déterminante. Lors d’une conférence en Allemagne, Katalin Karikó croise le chemin de deux autres exilés, Uğur Şahin et Özlem Türeci, deux médecins allemands d’origine turque aujourd’hui mondialement connus pour avoir créé le laboratoire BioNTech. L’entente est immédiate entre ces scientifiques qui partagent une communauté de destin et une même idée de la science. Venue à Mayence pour participer à une simple conférence, Karikó repart avec l’espoir de pouvoir enfin mener ses recherches à grande échelle et la promesse de devenir la vice-présidente de BioNTech. Elle partage désormais son temps entre l’Allemagne et les États-Unis. Lorsque la crise du Covid frappe, Karikó, Şahin et Türeci sont prêts à l’affronter. BioNTech développe en l’espace de quelques mois un vaccin hautement efficace, fondé sur les découvertes de Karikó. Le succès du vaccin dépasse toutes les espérances. Mais Katalin Karikó est déjà ailleurs. Elle souhaite désormais se consacrer à de nouveaux projets, notamment le développement via l’ARN de protéines thérapeutiques susceptibles de favoriser la cicatrisation des tissus et des os, et même de guérir le cancer. Comme l’écrivait Marie Curie, autre grande figure féminine de la recherche scientifique : « Telle est la beauté et la noblesse de la science : un désir sans fin de repousser les frontières du savoir. » 

LOU HELIOT

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