C’est le propre des grandes crises d’accélérer la marche du progrès, tout en mêlant l’espoir et l’horreur, des ambulances radiologiques de Marie Curie lors du premier conflit mondial au largage des premières ogives nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki à la fin du second. Le succès des vaccins à ARN messager nous rappelle que les catastrophes stimulent le génie humain, que la nécessité dissout les conformismes les mieux installés.

Les travaux autour des ARN forment une saga peuplée de Prix Nobel et de chercheurs anonymes qui ont creusé leur sillon, vaille que vaille, malgré des échecs répétés et le mépris de leurs supérieurs. Katalin Karikó aura tout connu, du communisme hongrois au capitalisme high-tech américain. Le hasard d’une rencontre devant une photocopieuse de son université – belle parabole pour ces ARN, copies de séquences d’ADN – lui a permis de rencontrer son binôme, Drew Weissman, un élève du célèbre Anthony Fauci. À eux deux (et quelques autres), ils ont réussi à lever les obstacles qui empêchaient les ARN messagers d’enclencher les réactions immunitaires adéquates. On parle de Nobel pour Katalin Karikó, mais son histoire pourrait aussi bien inspirer Steven Spielberg, grand narrateur de nos mythologies contemporaines.

Concernant les ARN, nous nous situons aujourd’hui au sommet de l’échelle de la hype, le stade des attentes exagérées à l’égard d’une innovation technologique. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le biologiste Michel Morange décrit la somme de travaux de fourmi qu’ont nécessitée ces ARN, messagers ou interférents, qu’il ne faut pas, selon lui, considérer comme « une médication miracle ». Nous exposons dans le poster leur mode de fonctionnement complexe, les raisons de leur victoire contre le Covid, les promesses de nouveaux traitements, en particulier contre le cancer – de nombreuses études sont en cours. Rien ne sera simple, les chercheurs qui tentent de vaincre le VIH depuis des années au moyen des ARN savent qu’ils sont une thérapeutique délicate à mettre au point. Il n’en reste pas moins qu’ils ont déjà bouleversé bien des certitudes. Comme l’explique la philosophe Catherine Malabou, en supplantant un ADN censé nous définir une fois pour toutes, ces ARN agiles et fragiles ouvrent la voie à une conception plastique de la génétique. Nos anciens antagonismes entre l’inné et l’acquis paraissent bien loin. 

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