Il faut rouler quelques minutes depuis le centre-ville pour tomber sur la pompe à pétrole d’Itteville, en Essonne. L’endroit, entouré d’un grillage vert surmonté de barbelés, fait face à une départementale derrière laquelle un tapis d’herbe rase s’étend jusqu’à l’horizon. Sous le sol sablonneux se trouve l’un des plus gros gisements de France. La concession s’étend sur 46,48 kilomètres carrés et englobe une partie des territoires de treize communes.

À Itteville, lors de ses plus belles années, la machine aux allures de tête de pioche extrayait plus de 20 000 tonnes de pétrole par an. Aujourd’hui, quoique plutôt rouillé, l’engin haut d’une dizaine de mètres n’en continue pas moins à pomper le sol d’un inlassable mouvement de balancier.

Dans cette petite bourgade rurale de 6 000 habitants, comme dans plusieurs autres communes du sud de l’Île-de-France, la présence d’or noir dans le sous-sol a attiré plusieurs moyennes et grosses entreprises d’extraction pétrolière : Total, Lundin International, Geopetrol, Petrorep, Bridgeoil et surtout le groupe canadien Vermilion, qui a exploité jusqu’aux trois quarts de la production française et qui œuvre, depuis 2012, sur le sol d’Itteville et de trois autres concessions avoisinantes.

Aujourd’hui, le pétrole ne coule plus autant à Itteville : « Le puits ne pompe que 10 % de pétrole pour 90 % d’eau »

Découvert en 1990 avant d’être exploité sept ans plus tard, le gisement d’Itteville est le dernier filon de pétrole significatif trouvé dans le Bassin parisien. La ruée vers l’or noir sud-francilien remonte aux années 1950, à un moment où la France visait l’autosuffisance pétrolière. De grands programmes de recherche de pétrole sont alors menés dans le Bassin parisien mais aussi dans le Bassin aquitain et dans le fossé rhénan. Le premier gisement francilien est découvert en 1959, à plus de 1 800 mètres de profondeur dans le village de Coulommes, en Seine-et-Marne. Beaucoup d’autres ont été trouvés depuis mais, au total, la production française n’a jamais excédé 1 % de la consommation du pays.

Aujourd’hui, le pétrole ne coule plus autant à Itteville. « Le puits ne pompe que 10 % de pétrole pour 90 % d’eau », explique François Parolini, le maire de la ville. « Il ne produit plus rien et ne rapporte que très peu à la commune, tout juste 20 000 euros par an », renchérit Laëtitia Colonna, sa première adjointe. Alors que l’Île-de-France représentait 62 % de la production nationale de pétrole à ses grandes heures, soit 500 000 tonnes par an, la plupart des puits forés dans la région se retrouvent dans la même situation que celui d’Itteville. 

Mais l’ère du pétrole roi est révolue. Le plan climat présenté par Nicolas Hulot en 2017 a mis fin à la délivrance de permis de recherche d’hydrocarbures, empêchant ainsi le forage de nouveaux puits. La continuation de l’exploitation du gisement d’Itteville jusqu’à 2040 sera soumise à un examen en 2024. La mairie aimerait voir le roi du pétrole francilien fermer son installation et plier bagage. Mais le géant canadien s’accroche. Pour conserver son site, il a multiplié les annonces d’une possible reconversion.

Au-delà des difficultés techniques, c’est la présence même du géant pétrolier qui gêne, sur ces terres travaillées par une conscience environnementale

L’idée était d’utiliser l’eau à 50 °C extraite du puits pour se lancer dans la géothermie. Vermilion a proposé ses services pour deux projets immobiliers, un ensemble de 150 logements sociaux, puis un ensemble d’immeubles proches du centre-ville, mais aucun d’eux n’a vu le jour. Le pétrolier a avancé la construction d’une serre chauffée par ses soins. Un obstacle majeur se dresse toutefois sur le chemin de la géothermie à Itteville : l’eau extraite n’est pas assez chaude.

Au-delà des difficultés techniques, c’est la présence même du géant pétrolier qui gêne, sur ces terres travaillées par une conscience environnementale. La mairie s’est également opposée à un projet d’extraction de lithium au moment où les pays européens cherchent à rapatrier l’exploitation des métaux rares indispensables, notamment, à la construction des voitures électriques.  

À quelques dizaines de mètres du puits d’Itteville, sur l’ancien site du camping municipal, huit hectares de verdure sont laissés en friche depuis plusieurs années. Du bord de la route, à travers les buissons, Laëtitia Colonna pointe une étendue d’eau sur laquelle le soleil scintille. « C’est magnifique ici. Les marais d’Itteville, c’est toute la richesse de la zone », commente la première adjointe au maire. Juste en dessous, à une dizaine de mètres sous terre, sont enfouis des kilomètres de pipelines. « C’était n’importe quoi de faire passer des pipelines en dessous des étangs, c’est bien trop dangereux », juge-t-elle.

Ces dernières années, une odeur d’œuf pourri a envahi le village

En 2020, deux cents litres de pétrole se sont échappés d’un pipeline de Vermilion pour se déverser dans la Seine. L’installation était utilisée pour acheminer le pétrole brut jusqu’à la raffinerie Total de Grandpuits, en Seine-et-Marne. L’accident n’a pas eu de conséquences graves, mais le risque d’une contamination des marais d’Itteville n’a pas quitté l’esprit de l’équipe municipale.

Non loin de là, à Nonville, Vermilion avait tenté en 2012 d’entamer un forage exploratoire dans la roche-mère en vue d’extraire du pétrole de schiste, et ce en dépit de l’interdiction de la technique de fracturation hydraulique adoptée un an plus tôt. Deux jugements du tribunal administratif ont stoppé l’expérience, mais Bridgeoil continue d’exploiter des forages traditionnels sur le territoire de la commune, non sans nuisances. Ces dernières années, une odeur d’œuf pourri a envahi le village, et l’inquiétude est vive concernant un accident d’exploitation qui pourrait contaminer la nappe phréatique francilienne. Dan Lert, le président d’Eau de Paris, s’inquiète de la « menace » que cela fait peser sur les sources d’eau de Paris.

Que ce soit à Nonville ou à Icteville, de nombreux habitants rêvent de l’après-pétrole. Les conclusions de l’enquête publique pour la poursuite de l’exploitation pétrolière jusqu’en 2040 seront connues l’an prochain mais la bataille est déjà bien entamée. François Parolini, 70 ans, est l’un des élus les plus actifs sur TikTok. Pour contrer les arguments « écologiques » mis en avant par Vermilion qui défend une poursuite de l’activité, le maire d’Itteville s’est filmé devant le puits de pétrole de la commune en train de mimer un joueur de pipeau. Très vite, sa vidéo a affiché 185 000 vues et près de 4 000 likes. Laetitia Colonna, son adjointe mais aussi sa community manager, a tenté de répondre aux nombreux messages qui ont suivi. L’un d’entre eux proposait de transformer le site de Vermilion en musée. « Très bonne idée », a répondu le compte de monsieur le maire. 

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