On a d’abord restreint le vaste enjeu écologique à la seule question du climat, puis celle du climat à l’unique point des émissions de gaz à effet de serre, puis le problème de ces émissions aux machines déjà constituées qui en étaient une source. On a poursuivi la réflexion en vantant des infrastructures émettant moins de CO2. Ainsi, une voiture électrique pollue moins à l’utilisation qu’une voiture à combustion. Un panneau photovoltaïque produit une énergie moins émettrice de CO2 qu’une centrale à charbon ou à gaz. Des tours éoliennes aussi. On qualifia donc de « vertes » ces pratiques.

Pour censurer la pensée sur toutes les implications en amont de telles constructions – mobilisation de la machinerie lourde pour l’exploitation des mines de métaux rares, le CO2 qui en découle, l’utilisation de l’eau qui est requise, l’émanation de particules toxiques telles que l’arsenic dans ce grand brassage de terre, la production de bassins de déchets toxiques pour l’éternité… – est intervenu le syllogisme : 1) ces infrastructures émettant moins de CO2 sont « vertes » ; 2) tel minerai est indispensable pour produire cette infrastructure ; 3) donc ce minerai est, lui aussi, vert.

Cela permet de tenter de ne plus comparer les appareils que lorsqu’ils sont déjà constitués. C’est gros. C’est énorme. C’est le discours que continuent de tenir l’industrie minière, les constructeurs automobiles et les sociétés désormais « énergéticiennes ». Alors que, au mieux, ces appareils sont performants à la marge.

La « transition » énergétique est en réalité une addition énergétique

La chose n’apparaît dérisoire que si on perd de vue le diagnostic général de la crise écologique, par rapport auquel toute cette mobilisation de richesses, d’énergie et de travail se prétend une solution. À elle seule, la crise du climat se présente comme autonome et exponentielle. Le régime industriel et financier a détraqué le système Terre à un point tel qu’il continue de se dérégler de lui-même : les glaciers fondent, donc les surfaces d’albédo qui réfléchissent le soleil se restreignent ; les surfaces océaniques foncées s’étendent, de sorte qu’elles captent plus qu’avant la chaleur des rayons solaires ; la température mondiale n’en fait qu’augmenter d’autant et les canicules qui s’ensuivent favorisent de gigantesques et nombreux incendies de forêts, lesquels réduisent sensiblement le nombre de puits naturels de carbone ; il fait donc encore plus chaud, au point que le pergélisol se met à fondre et à libérer le méthane qu’il contient naturellement depuis des millions d’années – un gaz à effet de serre encore plus puissant que le CO2

Mais refoulons ces menus problèmes pour dissimuler le caractère dérisoire des entreprises de verdissement. Emballées comme étant « vertes », elles restent tellement plus attrayantes, et rentables, le seul critère qui compte. Et accentuons ainsi les problèmes…

L’après-pétrole est un fantasme qu’il fait bon entretenir jusqu’à la dernière goutte. La « transition » énergétique est en réalité une addition énergétique : pendant que les sources conventionnelles et non conventionnelles d’hydrocarbures se tarissent, de nouvelles formes d’énergies doivent entrer en ligne de compte pour satisfaire l’impératif de l’offre. C’est Patrick Pouyanné, PDG de Total, qui l’affirme de manière à peine subtile, en suggérant qu’il s’agit plutôt de répondre à une « demande » mondiale. Cela perdure tandis que le réel prend d’assaut notre régime à tout moment pour lui rappeler ce qu’il ne comprend pas : le sens des limites.  

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