Il y a cinquante ans, les pays exportateurs de pétrole s’apprêtaient à changer le monde. En augmentant les prix et en réduisant les niveaux de production, l’Opep mettait fin à des décennies d’une énergie sans limite incroyablement bon marché et d’une efficience inégalée. Le choc pétrolier de 1973 puis celui de 1979 ont contribué à refermer une parenthèse de trois décennies, synonyme, en Occident, de croissance et de plein-emploi. Depuis 1973, le prix du baril est devenu un thermomètre de la santé des économies développées et des tensions mondiales.

En 1973, la guerre du Kippour entre Israël et ses voisins arabes, en 1979, la révolution khomeyniste en Iran ont compté dans la flambée des prix des hydrocarbures. En 2022, l’invasion russe en Ukraine a pareillement boosté les cours, en route vers les 100 dollars le baril (près de 94 en fin de semaine dernière). Mais des raisons plus structurelles nous ont conduits à nous interroger dans ce numéro : ces crises à répétition annoncent-elles les prémices d’un monde sans pétrole ?

L’or noir est confronté à ses propres limites

Plus d’un siècle et demi après les débuts de son exploitation industrielle (1859 en Pennsylvanie), l’or noir est confronté à ses propres limites : son épuisement annoncé, aujourd’hui masqué par les pétroles de schiste et le fantasme des explorations en eaux profondes, et son inéluctable renchérissement ; ainsi que sa responsabilité majeure dans le réchauffement climatique.

L’économiste Emmanuel Hache, dans le grand entretien qu’il nous a accordé, analyse le dérèglement énergétique mondial qui voit l’Arabie saoudite « jouer la Russie contre le monde occidental ». Si l’on ajoute les incertitudes sur la production dans un avenir proche (« un goulot d’étranglement dans les années 2025-2026 »), l’Europe est confrontée à la nécessité de baisser sa dépendance aux hydrocarbures.

L’après-pétrole est aussi une affaire culturelle. 

Certes, l’addiction au produit est puissante, l’année 2023 va battre des records de consommation, les conditions d’un sevrage sans drames sont pour l’heure inconnues. Le souvenir des Gilets jaunes n’a pas fini de hanter les gouvernants. En l’espace de 24 heures, Emmanuel Macron a pu présenter un plan de planification écologique plutôt consistant après avoir signé un nouveau chèque de cent euros pour « les travailleurs qui ont besoin de rouler » et clamé son adoration de « la bagnole ».

Le pétrole n’a pas seulement enfanté une société de la consommation et du confort, il a fétichisé le mouvement comme expression de la liberté individuelle. Y a-t-il une vie après le pétrole ? Pour l’instant, clairement, non, mais cinquante ans après le premier choc pétrolier, une société décarbonée est à inventer, plus sobre, plus économe de ses déplacements… L’après-pétrole est aussi une affaire culturelle. 

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