Pour les pays de la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du nord), la question de l’après-pétrole est double : elle implique une diversification économique qui suppose le développement de nouvelles sources de revenus hors de la rente tirée des hydrocarbures et une transition écologique ayant pour but l’accroissement de la part des énergies vertes dans le mix énergétique, composé à ce jour à plus de 95 % de combustibles fossiles. Or, la marche vers la diversification économique est assurément plus avancée que celle menant à la transition énergétique. 

La zone de la région Mena recouvre, il est vrai, une grande disparité de situations. Les pays du Golfe persique ont enregistré des progrès sur le chemin de cette diversification économique : 70 % de leurs recettes budgétaires proviennent aujourd’hui du commerce des hydrocarbures et de leurs dérivés, contrairement aux pays pétroliers de l’Afrique du Nord (Algérie et Libye) qui demeurent dépendants à 90-95 % de leur rente pétrolière.

En Arabie saoudite, le projet pharaonique Neom-The Line affiche l’ambition de devenir une ville à zéro émission

C’était encore la situation des pétromonarchies il y a une vingtaine d’années, avant qu’un effort réel d’investissement soit mis en œuvre dans les domaines du tourisme, de l’immobilier, de la finance ou encore des nouvelles technologies. La politique volontariste de soft power que mènent à travers le sport certains pays – principalement le Qatar et l’Arabie saoudite – nourrit ce désir d’attractivité économique « hors pétrole ». 

L’émirat de Dubaï, qui ne possède qu’une part minime des réserves en hydrocarbures des Émirats arabes unis, est plus avancé que ses voisins, son budget ne dépendant plus qu’à 30 % du pétrole et du gaz. Rappelons que l’inauguration de son grand port artificiel de Jebel Ali, qui comprend aujourd’hui une zone franche accueillant des sociétés d’une centaine de pays et une grande zone touristique, date de… 1977. À cela s’ajoute le développement des marchés financiers, du marché de l’immobilier et du tourisme du luxe, qui ont permis à Dubaï de devenir à la fois une plaque tournante en matière de « réexportation commerciale » et le « hub touristique » le plus prisé du Golfe.

Du côté de l’Arabie saoudite, l’arrivée au pouvoir du prince héritier Mohammed Ben Salman s’est accompagnée du lancement, en 2016, du plan « Vision 2030 » : un grand projet de transformation de l’économie saoudienne visant à sortir du « tout pétrole » en favorisant l’initiative privée. Sa mise en œuvre a débuté par la décision, sans précédent, d’introduire en Bourse 5 % des actions de la société pétrolière publique saoudienne, l’Aramco. Tout n’a pourtant pas été si facile : la privatisation de l’aéroport de Riyad a été suspendue et l’introduction en Bourse du fleuron pétrolier a été reportée d’un an et demi et son envergure réduite à seulement 1,5 % de ses actions.

Le soleil et les espaces disponibles sont presque sans limites pour développer les énergies renouvelables

Sur la question des énergies propres, en revanche, on peut parler de stagnation. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis disposent certes des fonds souverains les plus puissants du monde, mais l’action de ceux-ci est pour l’instant plus puissante et perceptible à l’étranger que dans des projets locaux qui viseraient à sécuriser et diversifier les apports énergétiques. Les choses avancent sans doute, mais plus lentement qu’espéré.

De nombreux projets fondés sur l’énergie solaire sont néanmoins mis en avant. Par exemple, le site ouvert en 2013 aux Émirats arabes unis dans le cadre du projet de parc solaire Mohammed Ben Rashid Al-Maktoum, dont l’objectif est d’être l’infrastructure de ce type la plus puissante du monde en 2030. Ou bien en Arabie saoudite, dans la province de La Mecque, le chantier pour construire la plus grande centrale solaire à site unique jamais bâtie. 

On pense aussi aux écocités comme Masdar City aux Émirats, qui se veut une vitrine en matière d’énergies renouvelables et de transports propres, ou au projet pharaonique Neom-The Line en Arabie saoudite, qui, sur une bande de terre de 170 kilomètres sur 30, affiche l’ambition de devenir une ville à zéro émission. Il faut dire que le soleil et les espaces disponibles sont presque sans limites pour développer les énergies renouvelables.

Pour l’instant toutefois, les progrès en matière d’énergies vertes restent proches de zéro. Quand on regarde les bilans énergétiques des pays du Golfe, aucun n’atteint 1 % du mix. La part oscille entre 0 et 0,92 % dans les monarchies du Golfe, contre 6 % à 13 % dans les autres pays non pétroliers de la région (Égypte, Liban ou Maroc…).

La volonté affichée de verdissement fonctionne surtout sur le plan des symboles : Abu Dhabi abrite le siège de l’Agence internationale des énergies renouvelables (Irena) et Dubaï doit accueillir la COP 28 sur le climat en décembre prochain. Et pourtant, quand on regarde les choses de près, on réalise que 99 % des besoins en énergie de ces pays sont encore satisfaits par les hydrocarbures. Ce constat ne signifie pas qu’à l’horizon de 2050, les choses n’auront pas évolué, que des filières nucléaires n’auront pas été développées, qu’Oman ne sera pas devenu l’un des principaux pays producteurs d’hydrogène vert. Mais, au rythme actuel, on peut douter que la neutralité carbone soit atteinte en 2050, voire en 2060 – le nouvel horizon prudemment fixé par Mohammed Ben Salman. 

Malgré les objectifs vertueux proclamés, il n’est donc pas aisé de sortir de la dépendance au pétrole (et au gaz). D’autant que les pays du Golfe affichent une consommation d’énergie, notamment d’électricité, très importante, qui s’explique en particulier par le recours à la climatisation 24 heures sur 24, ou encore par la présence de grands ensembles touristiques et de certaines infrastructures énergivores comme les stations de ski des Émirats, dont le refroidissement est entièrement artificiel.

La question de la transition climatique n’est pas entrée dans la culture et le quotidien

En 2021, la consommation globale d’énergie a ainsi été plus importante en Arabie saoudite qu’en France (10,82 exajoules, contre 9,41) pour une population presque deux fois moindre. Et si l’on prend la consommation par habitant, la différence est encore plus importante (301,3 gigajoules en Arabie saoudite, 487,9 aux Émirats et même 686,2 au Qatar, contre 144 en France et 155 en Allemagne). Quant aux émissions de gaz à effet de serre, celles de l’Arabie saoudite (679,4 millions de tonnes de CO2) étaient en 2021 équivalentes à celles de l’Allemagne (646,7 MT), et trois fois plus importantes que celles de la France (211,3 MT).

Quand on songe aux ravages du réchauffement climatique, aux sécheresses, aux inondations qui viennent de raser des villages entiers en Libye, il y a de quoi s’inquiéter, spécialement pour des pays de la région Mena qui connaissent des chaleurs intenses une grande partie de l’année. Mais la question de la transition climatique n’est pas entrée dans la culture et le quotidien de ces pays. Aucun débat n’agite véritablement les sociétés arabo-musulmanes, aucune discussion entre experts n’est présente sur ces sujets dans les journaux ou la presse écrite.

Les dirigeants ne font donc face à aucune pression de leurs opinions, si tant est que ce terme soit pertinent pour ces sociétés. Il faut dire que les populations des pays du Golfe sont habituées à disposer d’une énergie quasiment gratuite, les hydrocarbures produits localement étant parmi les moins chers au monde – autour de 10 dollars le baril. Sans compter qu’ils bénéficient d’une politique de subventions dont les gouvernants tentent à grand-peine de sortir.

La réalité, dans les pays du Golfe et au Maghreb, c’est que, malgré quelques déclarations des hauts dirigeants, l’ensemble des acteurs politiques et économiques ont un autre agenda que celui de la neutralité carbone. À l’aune des événements qui secouent la région depuis les soulèvements populaires des Printemps arabes de 2011, la sécurité, la stabilité politique, la lutte contre la pauvreté et la corruption sont les sujets dominants. 

Or, la manne pétrolière ne tarit pas et les réserves estimées, quoi qu’on ait pu en dire il y a quelques années, ne cessent d’être révisées à la hausse. La demande mondiale explose, spécialement depuis la guerre en Ukraine. Une concurrence aiguë se fait jour entre l’Europe et l’Asie, au sein même de laquelle la Chine et l’Inde s’arrachent les livraisons de pétrole du Moyen-Orient (qui viennent d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis mais aussi d’Irak et d’Iran). Les prix flambent, ce qui représente autant de rentrées d’argent supplémentaires pour ces pays. On a calculé qu’avec un prix du baril entre 80 et 130 dollars, l’équilibre budgétaire des pays pétroliers était assuré, y compris celui des quelques pétromonarchies. Les dirigeants ont d’autant plus de difficultés à rompre avec ce statu quo que les énergies renouvelables sont, dans un premier temps, coûteuses en matière d’investissements en comparaison des prix du pétrole moyen-oriental.

Certains des dirigeants des pays du Golfe sont sans doute conscients qu’à long terme, ils devront investir sur la transition énergétique, mais, à court terme, ils peinent à se défaire de leur addiction au pétrole consommé et exporté. D’autant que la plupart d’entre eux sont personnellement intéressés par les bénéfices des compagnies pétrolières nationales. Pour l’instant, le verdissement est plus un affichage qu’une priorité au quotidien. 

 

Conversation avec PATRICE TRAPIER

 

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