L’originalité de Pasteur peut se dire en sept points.

1. D’abord la pluridisciplinarité. Pasteur n’est pas médecin. On le traitera de « chimiâtre ». Il a toujours considéré que c’est en croisant les regards et en échangeant les perspectives qu’on arrivait à la découverte. C’était nouveau, très moderne pour l’époque. Les médecins étaient, si on peut dire au sujet de Pasteur, fous de rage. Jamais la médecine n’avait été si mauvaise qu’en cette période où on niait toutes les pratiques ancestrales. On restait scotché à l’esprit de la nature, aux miasmes.

2. Croisant les regards, Pasteur a constitué une équipe. Mieux qu’une équipe, un équipage. S’il était d’un caractère difficile, aucun de ceux qui l’ont rejoint ne s’est séparé de lui. Ils étaient soudés dans la même passion de la découverte, pas de la vérité. La vérité n’existe pas, c’est la connaissance qui existe, l’élan de la connaissance, pas la vérité elle-même qui sortirait toute armée des esprits. La science n’est pas un royaume de vérité mais un royaume de connaissance qui remet sans cesse en cause les vérités. Cet équipage a été d’une diversité incroyable. Pasteur le recrutait un peu partout ou les gens venaient vers lui. Il a ainsi constitué son orchestre de la connaissance. Il a rassemblé à un moment donné toute la science et toute une culture.

3. Pasteur c’est le commissaire Maigret de la science. Il sait qu’il y a un serial killer. Ce peut être soit le charbon, soit le choléra des poules, soit la maladie du ver à soie. Il va sur le terrain et il y reste des semaines entières. La maladie est un écosystème qu’il faut observer longtemps pour le découvrir. Il est adepte d’Hugo : « À qui n’interroge pas le tout, rien ne se révèle. » Voilà Maigret-Pasteur : on ne trouve pas sans aller sur le terrain. Sans traquer et tracer l’interaction entre un agent meurtrier et un milieu. D’où l’obsession de l’hygiène. Pasteur découvre le responsable et guérit le malade par l’hygiène.

4. Pasteur est l’incarnation même de ce que j’ai essayé d’appeler l’unité du vivant. Les trois quarts de sa vie, il va traiter les animaux. C’est seulement à la fin qu’il se risquera à traiter les humains. Voilà qui résonne aujourd’hui : dans l’affaire des tests sur le Covid, les laboratoires biologiques humains n’ont pas voulu faire appel aux laboratoires des vétérinaires, qui testent depuis longtemps à toute vitesse – de la vache folle aux tremblantes inimaginables. Comme s’il existait une différence de nature entre les êtres humains et le reste du monde animal auquel, faut-il le rappeler, nous appartenons. Entre la médecine vétérinaire et la médecine humaine, il n’existe pas de frontières importantes. De toute façon, dans la vie, il n’y a pas de frontières…

5. Dès le début, il y a cent trente ans, Pasteur est le chevalier d’une seule santé – one health –, d’où d’emblée sa dimension internationale. Il sait que les questions sanitaires ne se posent pas à l’échelle d’un seul pays. La vérité, c’est l’interdépendance, pas l’indépendance. Aussi envoie-t-il ses lieutenants partout. D’où à présent le réseau des instituts Pasteur dans 26 pays. J’ai été marqué par ces visites inoubliables à Saïgon/Hô Chi Minh-Ville, à Nha Trang où exerça Yersin, en Tunisie, à Dakar, à Madagascar, en Uruguay.

6. À l’époque de ses travaux sur la rage, c’est un autre monde. Pasteur ne s’embarrasse pas de normes. Il va vite. Quand il pratique la première inoculation au petit Joseph Meister, son collaborateur le Dr Émile Roux refuse, il passe outre. Il va jusqu’à demander à l’empereur du Brésil des condamnés à mort pour ses expériences.

 

7. Pasteur est imbu de lui-même, assoiffé de gloire. Mais il sait que la gloire c’est de la « com », dirait-on aujourd’hui ; c’est l’industrialisation du process. S’il n’est pas connu, s’il n’a pas la gloire qu’il adore, il sait qu’il ne pourra pas rassembler les fonds énormes dont il a besoin pour créer l’institut Pasteur parisien, puis tous les autres. La gloire est une fin, et aussi un moyen.

 

Vacciner.

Pasteur n’est pas le premier ! Un siècle plus tôt, le médecin anglais Edward Jenner découvrit que, chez les humains, ceux qui avaient contracté la « vaccine » (ou variole des vaches), une maladie pour eux bénigne, étaient immunisés à la terrible variole humaine. D’où l’idée d’inoculer de la « vaccine », de vacciner. « Vaccination » est un mot choisi par Pasteur pour rendre hommage à Jenner. La vaccination est donc la rencontre adoucie et « arrangée » entre un organisme animal (humain ou non) et un pathogène. Ce faisant, l’organisme verra sa mémoire éveillée et ses défenses au plus vite mobilisées – Tiens, mais cet ennemi-là, je le connais déjà…

 

Je ne dis pas que TOUS les vaccins sont aussi efficaces. Je ne dis pas qu’AUCUN vaccin ne peut avoir d’effets secondaires. Mais je maintiens : à ce jour, la vaccination est le meilleur moyen de protection, personnelle ET collective !

 

L’être humain déteste le compliqué. Il aime s’accrocher à du simple. Or plus on avance dans la compréhension de la vie, et plus notre vie se « modernise », plus on découvre des interdépendances, des complexités. D’où le rejet d’une bonne part de la population, qui préférera toujours le simple, et qu’importe si le simple est faux. Les théories du complot ont un bel avenir… La première urgence de nos sociétés est de reconstruire un pacte de confiance avec la Connaissance. La Vérité est un chemin. 

 

Conversation avec ÉRIC FOTTORINO

 

 

 

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