La mendicité appartient à un secteur d’activités caractérisées par le fait qu’elles s’exercent dans l’espace public, qu’elles sont mises en œuvre dans l’attente d’une rétribution directe, et qu’elles sont plus ou moins licites. La mendicité, au sens strict, la manche, peut être définie comme la sollicitation d’un secours qui doit venir sans contrepartie de la part du secouru. 

La sociologie spontanée de la mendicité distingue des catégories selon des frontières variées. Aux jeunes marginaux et punks à chien s’opposent les vieux clochards. Les individus semblant « bien français » se différencient d’autres populations venant de pays étrangers. Parmi eux, les Roms tiennent une place singulière. Les artistes ou simili-artistes peuvent être regardés de manière plus favorable que ceux qui ne font rien. En réalité, ces appréciations sont d’abord fonction des convictions et des expériences que nous faisons tous de ces rencontres.

La typologie parfaite n’existe certainement pas. Aucun critère de distinction ne s’impose forcément comme le plus pertinent. De manière un rien imagée, on peut cependant produire une liste descriptive de grandes catégories de mendiants.

LES MISÉRABLES
Le terme n’est pas nécessairement le meilleur. Il désigne tout de même bien ce qu’il veut décrire. Parmi les mendiants, on trouve des personnes en situation de total dénuement. Debout ou effondrés sur un coin de trottoir, ils quêtent avec une main tendue, un gobelet ou une boîte de camembert. Des cartons contiennent souvent quelques informations rédigées à la main ou imprimées. 

LES ARTISTES
Une partie des mendiants exercent comme artistes. Ils font de la musique, des dessins, de rapides pièces de théâtre. Ils se produisent sur la scène de la rue. Souvent, dans le métro, leurs prestations artistiques s’accompagnent d’excuses pour le dérangement. Plus souvent encore, elles sont l’occasion de souligner les difficultés d’existence et d’insister sur la demande qui est faite : des pièces ou un ticket-restaurant. Ces artistes agacent ou font sourire, détendent ou tendent l’atmo-sphère. C’est affaire de goûts et de couleurs.

LES VENDEURS DE JOURNAUX
Parmi les activités proches de la manche au sens strict figure la vente de journaux spécifiques. Apparue il y a plus de vingt ans, cette presse singulière se vend sur les pavés. Après avoir connu un certain succès, ce marché s’est effondré. Et ne demeurent plus que quelques titres comme Sans-Abri ou Sans-Logis. Ce ne sont pas les produits que les acheteurs acquièrent. Ils trouvent, dans l’achat, une manière de donner au vendeur. 

LES EXPLOITÉS
Leur manière de mendier n’a rien de particulier, c’est leur situation sociale qui les distingue. Souvent plus jeunes, parfois même extrêmement jeunes, ils accompagnent des adultes qui les exploitent. Leur jeunesse et parfois leurs handicaps servent à susciter la compassion des passants. Le droit pénal condamne très sévèrement, en théorie, ces provocations à la mendicité de personnes vulnérables, comme la mise en danger des enfants et la traite des êtres humains. Mais, en pratique, il s’avère très difficile d’agir. 

Le mendiant sollicite toujours dans l’espace public une attention par l’exposition orale, picturale ou écrite de ses malheurs. Les personnes vivent cette expérience comme un véritable travail. Mendier nécessite de maîtriser un ensemble de discours, de pratiques, d’attitudes, de postures, d’horaires, de lieux. Il est nécessaire de savoir dans quels lieux et à quels moments il est pertinent de s’exposer. Pour optimiser sa prestation, il faut évaluer la rémunération potentielle sur un site ainsi que la concurrence ou le niveau de répression qu’on peut y rencontrer. En tant qu’exposition publique du malheur, la mendicité repose sur l’argumentaire du mendiant. Les textes rédigés sur des cartons ou déclamés dans le métro sont souvent assez élaborés. Ils peuvent s’inscrire dans des registres d’actualité, de compassion, d’humour, de provocation, d’intimidation ou de dérision. 

Diverses formes de mendicité ont bien été repérées, avec des termes en usage parmi les « mancheurs ». 

La « priante » renvoie à une localisation et à une clientèle précise. Se déroulant traditionnellement près des lieux de culte, cette forme de manche, debout ou à genoux, est la plus passive. Statique et silencieux, à côté d’un distributeur automatique de billets, sous le porche d’une église, aux portes d’un supermarché, le mendiant tend juste la main ou une timbale. 

Le « tape-cul » correspond à une forme de manche où l’on est assis près d’un carton sur lequel sont inscrites quelques informations laconiques. 

« À la rencontre », le mendiant aborde et se met en scène, avec plus ou moins d’insistance, devant un passant repéré comme un donneur potentiel.

« Faire la rame » est une autre expression qui désigne l’activité du mendiant qui opère dans le métro, passant de voiture en voiture.

De véritables tactiques de la manche existent. Et ces tactiques sont, pour beaucoup, composées de stratagèmes, ce qui alimente les récriminations de tous ceux qui considèrent que les mendiants sont des menteurs et des profiteurs. À chaque époque les mendiants ont fait l’objet de critiques parce que le recours à toutes sortes d’artifices et de procédés trompeurs les rend suspects. Les infirmités simulées ou les mensonges ne sont pas rares. Ces supercheries et déguisements appartiennent au répertoire technique du travail des mendiants. 

La mendicité, qui n’est pas une profession inscrite au registre des métiers, apparaît comme une activité organisée de sollicitation dont les deux principales modalités sont d’apitoyer ou d’effrayer. Tout passant, à force de rencontres et de contacts, s’est forgé sa philosophie sur les mendiants : il y a ceux qui lui inspirent de la pitié, auxquels il donne parfois, et ceux qui, au contraire, le dérangent. 

La suspicion a toujours été forte à l’égard des mendiants. Jeunes et agressifs, ils inquiètent. Vieux et obséquieux, ils font parfois sourire. Que l’aumône soit poliment sollicitée ou violemment exigée, toujours ils gênent.

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