La plupart du temps, nous cherchons à les éviter. Nous tournons la tête, nous fermons les yeux ou nous changeons de trottoir. Nous aimerions ne pas les voir et nous nous heurtons sans cesse à leur présence, le plus souvent muette. Dans la rue, dans les transports en commun, ils semblent quadriller la ville et tendent la main, à moins qu’ils ne posent un gobelet de carton devant eux. Ils sont notre mauvaise conscience et un miroir affolant… Et si c’était moi demain ? Si j’en étais aussi réduit à mendier ?

Cette peur, si caractéristique de nos sentiments mêlés de compassion et de répulsion, suffit, à elle seule, à mesurer notre méconnaissance du sujet. 

D’abord, nous avons tous tendance à surévaluer le nombre de pauvres en France, le nombre de sans domicile et celui des mendiants. Environ 30 000 personnes sans-abri, bénéficiant aléatoirement d’hébergements précaires pour une nuit, c’est beaucoup trop, c’est indigne, mais cela ne représente pas des centaines de milliers, voire un million d’individus. Ensuite, notre angoisse procède d’un fantasme qui nous fait craindre le pire alors que l’on devient rarement mendiant par hasard. Au contraire, c’est la plupart du temps à l’issue d’un long processus marqué par l’inexistence ou la rupture des liens familiaux et une absence de formation scolaire et professionnelle que l’on est contraint de faire la manche.

Ces préjugés nous aveuglent donc à deux titres. Le phénomène de la mendicité, par définition public puisqu’il a pour théâtre la rue, fait croire à tort aux passants à une crise massive, exponentielle. Dans le même temps, il contribue à nous faire minorer les efforts de la société pour le résorber. Contrairement aux idées reçues, la France est l’un des pays européens dont le taux de pauvreté est le plus bas, comme l’explique dans ce numéro Nicolas Clément, bénévole du Secours catholique et président du collectif Les Morts de la rue. 

Mais à l’évidence, ces efforts, ces progrès en faveur des démunis ne suffisent pas. La renaissance de mini-bidonvilles, que ce soit dans les friches industrielles ou dans les terrains vagues le long des autoroutes, vient nous surprendre alors qu’on les croyait définitivement disparus depuis les années 1970. La présence de 15 000 à 20 000 Roms, démunis et délaissés, parfois échoués en famille sur des matelas à même la chaussée, nous renvoie à une misère que l’on pensait révolue. Sans compter les jeunes migrants, parfois mineurs, abandonnés à la rue. Dans ce domaine, l’action des associations est précieuse, le rôle des bénévoles souvent admirable. Cette efficacité de la société civile ne doit pas être l’occasion d’une dérobade de la puissance publique. Trop de villes, de départements et l’État lui-même, au prétexte que beaucoup est déjà fait par ailleurs, restent inertes, indifférents devant ces nouvelles poches de misère. 

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