Il y a quelques jours, l’histoire d’une quinquagénaire française ayant cru vivre une relation amoureuse à distance avec Brad Pitt a occupé les conversations du pays – généralement sur le ton de la moquerie. Et tant pis si cette femme, qui s’est fait escroquer de plus de 800 000 euros, a commis trois tentatives de suicide après avoir réalisé la supercherie – cette révélation n’a pas découragé le cyberharcèlement à son encontre.

Cette affaire témoigne-t-elle de notre insensibilité collective ? Ou bien, au contraire, met-elle en évidence une sensibilité à géométrie variable, vis-à-vis des autres et de nous-mêmes ? Car l’époque paraît tout aussi bien marquée par une vague d’« hypersensibilité émotionnelle », une surréactivité aux émotions, positives ou négatives, comme aux stimuli sensoriels, qui toucherait une personne sur cinq dans le monde. « Pourquoi ces rivières sur les joues qui coulent ? », se demandait Alain Souchon il y a quelques années. La question a été jugée suffisamment sérieuse en tout cas pour qu’une journée nationale soit consacrée à l’hypersensibilité depuis 2019.

C’est ce paradoxe apparent que nous avons souhaité explorer dans ce numéro du 1 hebdo, pour comprendre les évolutions de notre façon d’être au monde à travers les regards de la psychiatrie, de l’histoire, de la philosophie ou encore des neurosciences. Qu’est-ce qu’être sensible ? Qu’est-ce qui nous pousse à être touchés par tel événement ou telle perception ? Faut-il apprendre l’indifférence devant les malheurs du monde, pour préserver sa santé mentale ? Et sommes-nous vraiment devenus plus fragiles que par le passé, plus douillets ou plus facilement blessés – au prix, parfois, d’une certaine tartuferie ?

Elle pourrait même faire figure de boussole dans notre monde déréglé


La sensibilité s’avère, aussi, une question profondément politique. Reléguée pendant des siècles du côté de la féminité, de la faiblesse de caractère, de l’émotion coupable, elle trouve aujourd’hui une place nouvelle dans notre paysage mental. Elle pourrait même faire figure de boussole dans notre monde déréglé, pour nous aider à protéger notre relation aux autres, à la nature ou au respect de nos sens brutalisés par la vie moderne. Les masculinistes désormais au pouvoir à Washington l’ont bien compris, eux qui dénoncent la fragilité d’une jeunesse « flocon de neige » et tressent, comme Mark Zuckerberg, des lauriers à l’« agressivité ». À cette entreprise de soumission, on pourrait opposer la puissance de la douceur, dont la philosophe, psychanalyste et écrivaine Anne Dufourmantelle disait qu’elle était la « parole inarticulée de la sensibilité ». Et assumer, peut-être, d’avoir parfois tous des airs de flocons de neige. 

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