À chaque catastrophe, la même surenchère : il faut être solidaire, sensible, engagé… sans sortir de son canapé. Pourtant, les temps difficiles réclament une lucidité en hausse. W.H. Auden fut ambulancier pendant la guerre d’Espagne. Il cherche un juste équilibre au musée des Beaux-Arts de Bruxelles lors de la funeste année 1938.  

 

Sur la souffrance, ils ne se trompaient jamais,

les Vieux Maîtres : comme ils comprenaient bien

Sa place dans la vie humaine, et qu’elle se produit

Pendant que quelqu’un d’autre est en train de manger ou d’ouvrir une fenêtre ou de passer

avec indifférence,

Et, tandis que les vieux attendent pieusement, passionnément,

La naissance miraculeuse, qu’il faut toujours qu’il se trouve

Des enfants qui ne souhaitaient pas spécialement qu’elle arrive, en train de patiner

Sur un étang au bord de la forêt.

 

Ils n’oubliaient jamais

Que même l’horrible martyre doit suivre son cours

N’importe comment, dans un coin, quelque lieu en désordre

où les chiens continuent à mener leur vie de chiens, et le cheval du tortionnaire

Frotte son innocent derrière contre un arbre.

 

Dans l’Icare de Brueghel, par exemple, comme tout se détourne

De la catastrophe sans se presser ; le laboureur a pu entendre

Le floc dans l’eau, le cri du désespoir,

Mais pour lui ce n’était pas un échec important ; le soleil brillait

Comme il devait sur la blancheur des jambes disparaissant dans l’eau verte,

Et le coûteux, le délicat navire qui avait dû voir

Quelque chose de stupéfiant, un garçon précipité du ciel,

Avait quelque part où aller et poursuivait tranquillement sa course.

 

Poésies choisies, traduites de l’anglais par Jean Lambert
© Éditions Gallimard, 1976

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