Aucun architecte français n’oserait édifier un opéra en forme de steak frites. Il heurterait la sensibilité de tous les végétariens, des fans du régime minceur, sans parler de celle des alters, horrifiés par une telle démonstration de nationalisme pétrifié. Les Singapouriens n’ont pas nos réticences. Le nouvel opéra de la cité-État s’orne d’une toiture qui, pour le commun des Asiatiques, emprunte sa forme au durian. Ce fruit exotique, bosselé comme une carapace de tatou, est là-bas un véritable emblème. Il a pour lui une chair succulente et contre lui son odeur repoussante aux narines occidentales.

Ce que les locaux apprécient, nous l’abhorrons car ce fumet si particulier, nous le comparons en version soft à celui des aisselles mal lavées et dans une version hard à celui des pires toilettes publiques. En vérité, les concepteurs eux-mêmes ne semblent pas être en odeur de sainteté car leurs noms se ­chevauchent, diffèrent. On cite la firme DPA de Singapour et l’agence londonienne MWP. Bref, on ne sait plus très bien qui a dessiné quoi. D’autant que c’était en 1994 ! Il aura fallu plus de vingt années pour voir le fruit mûrir. Et puis, certains critiques et amateurs, inspirés par la toiture à facettes, ont baptisé l’opéra « Œil de Mouche ». Nous voilà soulagés. Pour un temps. Car d’autres, plus enthousiastes, évoquant la double toiture, parlent déjà de deux durians copulant. On peut craindre qu’ils aient beaucoup d’enfants. Et surtout qu’on ne puisse les sentir.

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