Cette fois-ci, il sera difficile de plaider la surprise. Depuis plusieurs mois et l’annonce du candidat Macron de vouloir remettre sur l’établi la réforme des retraites avortée en 2020, chaque camp fourbit ses arguments. Fini l’ambitieux plan de refonte voulu durant le premier quinquennat. La version 2023 se veut plus simple, plus efficace, avec un report rapide de l’âge de départ à la retraite à l’horizon 2030. À l’Élysée, on défend la « mère de toutes les réformes », censée garantir la pérennité financière du système de répartition, sur fond de vieillissement de la population. Du côté des oppositions, politiques ou syndicales, on s’élève contre une réforme jugée brutale et inéquitable, voire tout bonnement inutile. Quant aux Français, ils seraient 68 % à souhaiter un retour à la retraite à 60 ans, selon un récent sondage Ifop. Autant dire que le dialogue s’annonce difficile et le conflit prévisible, alors même que le climat social est déjà grevé par une inflation dont les principales victimes, les actifs modestes, sont aussi les premiers concernés par ce relèvement de l’âge.

Cette sacralisation d’un temps de la vie naguère redouté est éloquente

Pourquoi la question des retraites s’est-elle imposée depuis trente ans et la réforme Balladur comme le principal sujet d’achoppement qui, à chaque quinquennat, déchire le pays et fait trembler ses pavés ? Pourquoi les retraites et pas la situation des jeunes, l’état de l’hôpital ou le défi climatique ? Sans doute parce que chacun de nous se sent directement concerné par l’avenir de sa pension. Et parce qu’elle traduit, en creux, l’opposition entre plusieurs philosophies de la vie, du temps et de la solidarité. Ce numéro du 1 se penche sur cette « obsession française » pour mieux comprendre pourquoi, après l’épuisement du paradis chrétien et des rêves de Grand Soir, la retraite est devenue la grande promesse du bonheur ici-bas. Un âge d’or où peuvent se conjuguer repos, loisirs et engagement au service des autres – même si tout le monde n’est pas à même enseigne, socialement ou psychologiquement parlant, au moment de l’aborder. Cette sacralisation d’un temps de la vie naguère redouté est éloquente. Oui, la retraite est un trésor à préserver, et on peut pour cela batailler sur les chiffres, projections sur plusieurs décennies à l’appui. Mais il n’est pas inutile de profiter de l’actualité pour se pencher, aussi, sur ce que cette attente trahit de la difficulté de la vie active, de l’inégalité face aux conditions d’emploi, de l’inquiétude sur le maintien du pouvoir d’achat. Un débat qui, loin de se limiter à un avenir hypothétique, nous parle aussi de notre aujourd’hui. 

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