Il y avait alors en Uruguay plus d’employés que de chaises, se moquera Mario Benedetti. Le romancier et nouvelliste se fit connaître par ses Poèmes du bureau, qui entendaient réveiller une classe moyenne embrigadée dans une vie par trop étriquée. Même satirique, son œuvre militante reste généreuse et complice : une défense de la joie. 

Le vrai ciel qui n’est pas l’autre celui de maintenant
le ciel de quand je prendrai ma retraite
durera le jour entier
le jour entier il tombera
comme une pluie de soleil sur mon crâne chauve

Je serai un peu sourd pour écouter les arbres
mais de toute façon je me souviendrai qu’ils existent
peut-être un peu vieux pour marcher dans le sable
mais la mer me rendra encore mélancolique
je serai sans mémoire et sans argent
avec le temps dans mes bras comme un nouveau-né
et il pleurera avec moi et je pleurerai avec lui
je serai solitaire comme une huître
mais je pourrai parler de mes fidèles amis
qui comme toujours compteront depuis l’Europe
leurs chaque fois plus timides allocations et contrebandes

Bien sûr je serai sur la rive du monde contemplant
des défilés pour enfants et retraités
avions
éclipses
et régates
et je me mettrai un chapeau pour regarder la lune
personne ne demandera de rapports de bilans de chiffres
et je n’aurai d’horaire que pour mourir
mais le vrai ciel qui n’est pas l’autre celui de maintenant
le ciel de quand je prendrai ma retraite
sera arrivé trop tard

Traduction inédite de L.C.
Extrait de Mario Benedetti, Poemas de la oficina (Poèmes du bureau), Número, 1956

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