Comment perçoit-on la retraite en France ?

Notre imaginaire de la retraite a beaucoup évolué au fil du temps. Au moment de la mise en place de la Sécurité sociale, après la Seconde Guerre mondiale, elle est essentiellement associée au repos, et surtout à l’ennui. On en a une vision assez négative. Puis, à partir des années 1970, émerge l’imaginaire très positif de la « retraite loisir ». Grâce aux politiques publiques, à l’invention des clubs, des universités et des voyages pour le troisième âge, la retraite devient une période de l’existence désirable, où l’on peut profiter de la vie et faire ce que l’on n’a pas pu faire jusqu’alors. C’est l’image de la retraite comme réalisation de soi.

Aujourd’hui, cette vision est concurrencée par un nouvel imaginaire, celui de la « retraite active ». La retraite devient le temps d’une activité continuée, qu’elle soit bénévole, comme l’engagement associatif, ou rémunérée, en particulier avec le cumul emploi-retraite. Désormais, ces trois imaginaires coexistent et se superposent partiellement, mais le phénomène de la retraite active prend de plus en plus d’ampleur. Si les seniors qui ont à un moment donné cumulé pension de retraite et emploi sont encore assez marginaux (autour de 3 % de la population globale des retraités), ils sont cependant de plus en plus nombreux dans les cohortes de nouveaux retraités – autour de 17 % chez ceux qui ont entre 55 et 65 ans. C’est une évolution significative.

La retraite est-elle tout de même encore perçue comme un « âge d’or » de la vie ?

Oui, cet imaginaire de la retraite comme moment de l’existence auquel on aspire, tel qu’il a été formulé dans les années 1970, est toujours présent aujourd’hui en France. Si les enjeux autour de la réforme des retraites et du recul de l’âge de départ sont aussi grands, c’est aussi parce que cet imaginaire, cette aspiration à la réalisation de soi, est toujours vivace. Mais ce qui change, c’est que cette réalisation de soi va également pouvoir prendre une forme professionnelle. On voit ainsi des seniors se reconvertir, reprendre des études dans un nouveau secteur. Si la retraite est toujours perçue comme un âge d’or, elle va être orientée plus souvent vers l’activité que vers les loisirs. 

Quel rôle a joué l’injonction au « vieillissement actif » dans la formation de cet imaginaire ?

Le concept de « vieillissement actif » remonte aux années 1990 et 2000. Et il ne recouvre pas seulement un imaginaire, mais aussi des politiques publiques bien concrètes avec, en premier lieu, des mesures qui ont consisté à mettre fin aux préretraites et à faire en sorte que les seniors continuent à travailler plus longtemps et ne partent pas avant l’âge de 60 ans, puis, à partir de 2003, l’assouplissement des règles du cumul emploi-retraite. Ce sont aussi toutes les réformes des retraites, qui ont décalé la durée de cotisation de 37,5 ans à 40 ans, puis 42 ans, et bientôt 43 ans, et reporté l’âge de la retraite de 60 à 62 ans (avec décote) et 67 ans (sans décote).

C’est tout cela, le vieillissement actif : à la fois l’imaginaire d’une retraite qui n’est plus seulement orientée vers les loisirs mais aussi vers la continuation d’une activité, et des mesures de politiques publiques qui incitent les retraités à poursuivre le travail, d’une manière ou d’une autre.

La manière dont on mène sa retraite diffère-t-elle en fonction de la trajectoire professionnelle ?

Bien entendu. Après une vie professionnelle difficile, pénible, ou une carrière qui n’a pas donné ou qui ne donne plus satisfaction, on aspire à s’arrêter. Dans ce cas, la retraite est associée à une libération par rapport aux contraintes professionnelles. Dans d’autres cas, notamment chez les cadres supérieurs qui y parviennent en bonne santé, on préfère faire valoir l’expérience et les compétences accumulées dans une activité bénévole ou rémunérée. Et le type d’activité dans lequel le retraité va s’engager varie bien sûr selon son milieu social, son niveau d’études ou ses revenus. Le genre va également jouer un rôle important dans l’organisation de ce temps de la vie. On observe que l’engagement bénévole dans les associations, notamment dans les postes à responsabilités, est plus fréquent chez les hommes, tandis que l’engagement des femmes prend souvent un tour plus informel – par exemple dans les activités de care, au bénéfice des parents âgés dépendants ou des petits-enfants. C’est un pan très important de l’activité des retraités – et plus souvent des femmes retraitées – qui est fréquemment occulté.

L’allongement de l’espérance de vie pose par ailleurs la question de ce que les démographes appellent le « vieillissement dans le vieillissement ». Comment cela est-il vécu ? Que reste-t-il à inventer ?

En effet. La retraite est un temps long, c’est souvent vingt, trente ans de vie. Depuis les années 1970, les jeunes retraités restent associés à l’âge adulte, et ne sont pas rangés dans la tranche du « grand âge » ; ils sont décorrélés de la vieillesse à proprement parler : le troisième âge est différent du quatrième âge.

Or, l’évolution démographique de nos sociétés fait que, dans les années à venir, non seulement la part des plus de 60 ans va nettement augmenter, mais celle des personnes très âgées va, elle aussi, croître de manière très importante. Dans les années 1950, les personnes âgées de 85 ans et plus représentaient 0,5 % de la population. Aujourd’hui, elles en constituent environ 3,4 %. En 2050, leur part s’élèvera à 7,5 %. C’est cela, le « vieillissement dans le vieillissement ». Nous nous dirigeons vers une société, non seulement composée de nombreux retraités, mais dans laquelle bon nombre d’entre eux seront très âgés. Il y a là un nouveau défi : comment faire en sorte qu’ils puissent continuer à être partie prenante de la société, à l’instar des jeunes retraités aujourd’hui ? Comme les retraités des années 1970 ont « inventé » la retraite, qui était alors une sorte de terra incognita, on a aujourd’hui une génération de plus en plus nombreuse qui arrive au grand âge et qui va devoir trouver des manières de vivre et d’être citoyen au quatrième âge. 

 

Propos recueillis par LOU HÉLIOT

 

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