Quel est le profil type des joueurs en France ?

Le jeu vidéo est devenu un produit culturel très éclaté. Chercher à définir un profil type du joueur équivaut à vouloir définir le modèle du lecteur français. Ce n’est pas possible. On peut à la rigueur trouver des profils de lecteurs de romans policiers, de science-fiction, pas du lecteur en général.

Les amateurs de jeux vidéo, disons le cœur du public, se composent d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes. C’est le noyau dur des joueurs, celui des gamers, qui possèdent leur propre culture. Ce sont des jeunes de toutes origines sociales qui forment un groupe « transclasse ». La diversité sociale est d’ailleurs l’un des points sur lesquels le jeu vidéo se différencie des autres activités ludiques. Mais, plus largement, la pratique des jeux vidéo est commune à tous les âges. Les adultes ont développé leurs propres usages des jeux, même s’il ne s’agit généralement pas des mêmes que ceux des plus jeunes.

A-t-on une idée du nombre de joueurs en France ?

Il faut tenir compte du fait que les personnes interrogées peuvent sous-déclarer leur pratique : ils diront ne pas jouer mais, en réalité, ils le font, dans les transports ou lors de petits moments de temps libre du quotidien. En intégrant l’ensemble des pratiques, celles dites faibles et celles dites fortes, on arrive à plus de 70 % de la population. Selon les derniers chiffres, 71 % des Français jouent occasionnellement et 49 % régulièrement, toutes sortes de jeux confondus.

Là encore, il faut réfléchir en termes de classes d’âge. Les 6-18 ans jouent à plus de 95 % fréquemment, la seconde génération un peu moins et après 30 ans, on assiste à une baisse nette, même si le joueur moyen a 40 ans.

Quelles sont les principales catégories de jeux vidéo ?

Il en existe un grand nombre : les « Triples A », les blockbusters de l’industrie du jeu vidéo, tel le jeu de football FIFA ; les jeux de course de voitures, tel Need for Speed, dont le public est plutôt masculin et populaire ; les jeux de stratégie en temps réel, comme Age of Empires, dont les joueurs sont plus jeunes et un peu plus diplômés que la moyenne. Citons encore les jeux de combat et les jeux de plates-formes [où le personnage du joueur doit littéralement sauter d’une plate-forme à l’autre pour avancer]. Il reste que des jeux tels le Solitaire, la Dame de pique ou le Démineur sont les plus populaires, loin devant les produits plus complexes prisés par les plus jeunes.

Qu’elle est la place des femmes parmi ces joueurs ?

Elles sont parfois présentes dans des proportions équivalentes à leur part de la population. C’est le cas pour les jeux de plates-formes. Elles sont même parfois surreprésentées parmi les amateurs des Sims, par exemple, et, de manière plus générale, de tous les jeux de simulation de vie. En fait, les pratiques féminines sont très importantes quantitativement, mais souvent invisibilisées. La tendance dans le public et les médias est à dévaloriser certains jeux au profit d’autres, selon les valeurs qui y ont cours. Les jeux narratifs, les visual novels [romans visuels], plus contemplatifs et sensibles que les jeux d’action par exemple, ne sont que rarement mis en avant. Il est nécessaire d’avoir à l’esprit que, pour toucher une population large, un jeu a bien sûr besoin d’une distribution importante, mais il doit également bénéficier d’un regard valorisant sur le plan culturel. Or, les jeux vidéo restent l’apanage d’une vision masculine du divertissement.

Le regard porté sur les jeux vidéo a-t-il évolué ?

Tout à fait. On observe une forme de respectabilisation du jeu vidéo. En deux décennies, les médias ont radicalement évolué. Des discours savants sur les jeux vidéo ont émergé. La sortie d’un jeu est parfois accompagnée dans les médias généralistes de critiques assez subtiles. Ce processus d’appropriation du jeu vidéo par des classes sociales diplômées est, selon moi, assez sain dans la mesure où il s’inscrit dans un phénomène démographique plus large. Des générations qui ont, dans leur jeunesse, été socialisées à ces formes de contre-culture, les légitiment une fois adultes en produisant un discours construit. Cette évolution montre que le jeu vidéo est devenu un objet culturel digne d’intérêt.

À partir de quand le jeu s’est-il imposé comme un poids lourd de l’industrie culturelle ?

L’émergence du jeu – et sa perception comme un acteur important des industries culturelles – se produit à la fin des années 1990. L’entreprise japonaise Nintendo, qui existait avant le jeu vidéo, prend son régime économique de croisière à partir du milieu des années 1980. Au début des années 2000 se produit un second point de bascule. La recherche, en sociologie et en économie, se saisit du sujet. Dans les universités, les game studies se développent et les premières thèses sont publiées. Parallèlement, un discours sur l’utilisation des jeux vidéo en classe voit le jour.

Le dépassement de l’industrie du cinéma par celle des jeux vidéo, en chiffre d’affaires, a-t-il servi de déclic ?

Je ne pense pas, d’autant plus que le chiffre reste très discuté chez les économistes. Tout dépend des modes de calcul et de l’intégration ou non des produits dérivés. D’un point de vue sociologique, cette prise de conscience de la place du jeu vidéo dans l’industrie culturelle suit davantage une évolution démographique : les jeunes socialisés aux jeux vidéo dans les années 1980 le défendent dans les instances où ils se trouvent à l’âge adulte. Il s’agit, selon moi, d’un effet plus sociologique qu’économique.

Quel rôle a pu être celui du portable et du smartphone ?

Le portable a eu deux effets. D’abord, il a permis de baisser le coût économique d’accès aux jeux, notamment avec le développement du free to play [jeux accessibles sans payer sur les téléphones]. Il a contribué en ce sens à une massification qui avait déjà commencé dans les années 1990 par le biais du marché de l’occasion. Les téléphones ont également facilité l’accès aux jeux sur le plan culturel. Ils ont été diffusés auprès d’un public plus large, je pense notamment aux adultes, et ont proposé des jeux plus accessibles à des personnes n’ayant pas été socialisées auparavant sur les consoles et ordinateurs. 

 

Propos recueillis par NICOLAS BOVE

 

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