Dans leur grave retrait, les deux joueurs
Guident leurs lentes pièces. L’échiquier
Jusqu’à l’aube les retient prisonniers,
Espace où se haïssent deux couleurs.

Irradiation de magiques rigueurs,
Les formes : tour homérique, léger
Cheval, reine en armes, roi, le dernier,
L’oblique fou et les pions agresseurs.

Quand les joueurs se seront retirés,
Et quand le temps les aura consumés,
Le rite, alors, ne sera pas fini.

C’est à l’orient qu’a pris feu cette guerre
Dont le théâtre est aujourd’hui la terre.
Comme l’autre, ce jeu est infini.

Nul poète n’a poussé aussi loin sa réflexion sur les jeux que Jorge Luis Borges dans les deux sonnets d’Échecs. Tout y est : les notions d’espace clos, de combat, de règle et de simulacre. Le jeu devient une mise en abyme vertigineuse de nos vies, dans son enchaînement de causes et d’effets : « Dieu pousse le joueur et, lui, la dame. » 

Extrait d’« Échecs », La Proximité de la mer : Une anthologie de 99 poèmes, traduction de Jacques Ancet
© Éditions Gallimard, 2010 © Jorge Luis Borges, 2010

 

 

 

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