L’enquête électorale 2017 du CEVIPOF a demandé en octobre dernier aux électeurs leurs motivations pour voter à la primaire. Pour ceux d’entre eux qui étaient les plus certains d’y participer, 51 % ont déclaré que ce serait par adhésion à un candidat, 15,7 % qu’il s’agirait de « barrer la route à un autre candidat » et 33,3 % que ces deux motivations compteraient autant.

« Barrer la route » à tel ou tel candidat est au cœur des motivations des électeurs de gauche qui ont l’intention de participer à la primaire : c’est le cas de 65,7 % de ceux qui se classent « très à gauche », et de 50,9 % de ceux qui se situent « à gauche ». Caractéristique d’un « vote tactique », le choix d’Alain Juppé à la primaire serait, pour ces électeurs, dicté par un fort rejet de Nicolas Sarkozy ; il constituerait aussi l’expression de considérations « morales », au sens où intervient dans le raisonnement un principe de dépassement de leur propre idéologie en faveur d’une finalité jugée plus importante : éviter le « scénario noir » d’un second tour qui opposerait Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. 

Ces électeurs ont intégré la faible probabilité de voir un candidat de gauche se qualifier pour le duel final de la présidentielle et souhaitent dès lors influencer la configuration du second tour. Cette anticipation repose pour certains sur un non-dit : l’idée qu’un troisième tour pourra se jouer après la présidentielle, comme en 1995. Cette interprétation ne couvre pourtant pas tout le spectre des explications. Certains de ces électeurs peuvent être en partie sensibles aux propositions réformatrices du maire de Bordeaux. En analysant leurs préférences en matière de politiques publiques, on découvre qu’ils sont en fait assez proches des positions du centre droit. Ainsi, chez les électeurs de gauche qui se déclarent certains de vouloir voter Juppé à la primaire, seuls 39 % sont favorables à l’augmentation de l’ISF. C’est moins que chez les autres électeurs de gauche (52%). La tendance naturelle des électeurs de gauche à vouloir taxer les riches est donc modérée par l’intention de voter pour Alain Juppé, candidat de droite qui propose la suppression de l’ISF. La participation, pour le moment virtuelle, d’électeurs de gauche à la primaire de la droite et du centre révèle donc en creux des clivages internes à la gauche sur les questions économiques, en particulier celle de la redistribution. 

 

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