Identité nationale, laïcité, réforme du droit du sol, loi Taubira sur le mariage gay, principe de précaution en matière environnementale, fichés S… Difficile de se retrouver dans l’écheveau des propositions des candidats à la primaire sur les questions sociétales, tant les sujets sont nombreux, et les positions des uns et des autres parfois contradictoires. Sur ces six sujets, l’analyse de la Boussole de la primaire laisse pourtant entrevoir un clivage entre les défenseurs d’une société française plus ouverte et les tenants d’une ligne plus conservatrice.

Deux candidats se positionnent en haut de l’échelle du libéralisme culturel : Alain Juppé et Nathalie Kosciusko-Morizet. L’ancien Premier ministre et favori des sondages défend, on le sait, une « identité heureuse » et l’intégration des immigrés, préférée à leur assimilation au nom du refus de l’uniformité et du respect des différences. Il s’oppose à une lecture extensive de la laïcité qui mènerait à l’interdiction du voile à l’université, est hostile à la réforme du droit du sol, se montre soucieux d’égalité entre les couples hétérosexuels et homosexuels et n’est pas favorable à la mise en détention systématique des fichés S. Seul le principe de précaution ne rencontre pas son assentiment, ce qui traduit une certaine indifférence à l’écologie. Nathalie Kosciusko-Morizet se positionne de manière identique sur tous ces enjeux, mais manifeste une attitude plus prudente sur le principe de précaution, et plus fermée sur le voile à l’université.

Derrière ce duo de tête, les autres candidats sont plus ambivalents, à mi-distance entre la prudence de ceux qui s’apprêtent à diriger l’État et la tentation d’une surenchère identitaire et sécuritaire. Bruno Le Maire est ainsi ouvert sur l’intégration des immigrés, les droits des homosexuels ou le principe de précaution, mais il a exprimé une position très fermée sur les fichés S ou sur le voile qu’il souhaite interdire dans les établissements publics.

François Fillon et Jean-Frédéric Poisson se montrent tous les deux méfiants quant à l’internement des fichés S et d’une extension de la loi sur le voile à l’université, mais demeurent conservateurs sur tous les autres sujets. Jean-François Copé, moins clair, est conciliant vis-à-vis des droits des homosexuels et du principe de précaution, mais se montre fermé sur tous les autres sujets.

Nicolas Sarkozy, enfin, est celui qui se positionne le plus clairement. Tenant de la France fermée, il promeut l’assimilation des immigrés au nom des menaces qui pèseraient sur l’identité nationale, défend l’abrogation du droit du sol, l’interdiction du port du voile à l’université et la détention de tous les fichés S, récuse le principe de précaution en matière environnementale. Seul sujet d’ouverture, l’ancien président a renoncé à revenir sur la question du mariage et de l’adoption pour les couples homosexuels, car « le remède serait pire que le mal ».

Quelles leçons tirer de ces positionnements ? D’abord que les enjeux d’identité et de nationalité divisent plus que jamais la droite, entre ceux qui, depuis le milieu des années 1980, rêvent d’une union des droites républicaines et extrêmes sur ces questions, et les tenants d’un républicanisme plus conventionnel. La thématique identitaire a contaminé celle de la laïcité, qui constitue une nouvelle ligne de clivage à droite, entre les défenseurs d’une laïcité ouverte, parfois par crainte de heurter l’électorat catholique – notamment pour Jean-Frédéric Poisson ou François Fillon – et les thuriféraires d’une laïcité identitaire focalisée sur l’islam, qui séduit les franges les plus radicalisées de l’électorat républicain et dont Nicolas Sarkozy ou Jean-François Copé sont les porte-parole.

Sur l’enjeu environnemental, il est frappant de constater, à travers les avis exprimés sur le principe de précaution, que la droite française n’a toujours pas réalisé son aggiornamento écologique, aucun candidat, hormis NKM, n’exprimant de position affirmée sur ce thème – il est vrai que, dans ce domaine, le PS s’est montré pour sa part plus croyant que pratiquant.

Les convictions des candidats sur les enjeux de société manifestent deux lectures distinctes de la démocratie. Les défenseurs de la société ouverte sont attachés aux principes de l’État de droit, qu’on ne saurait bafouer sous la pression d’une opinion apeurée par le terrorisme et l’islam. Les candidats plus conservateurs sont ambivalents sur cette question et revendiquent des mesures d’exception, au nom de la majorité du peuple qu’ils prétendent incarner.

L’étude des positions des candidats relatives aux mœurs révèle des surprises. Malgré des critiques de façade, on constate une véritable évolution du rapport au mariage homosexuel. Loin des déclarations maximalistes et des débats houleux de 2012, la loi Taubira s’est finalement imposée à droite, les trois candidats favoris des sondages – Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire – y étant favorables.

Il est frappant de constater que, sur l’ensemble de ces enjeux et à l’exception notable du mariage gay, les candidats les plus ouverts sont aussi ceux qui sont restés le plus fidèles aux positions de leur famille politique depuis trente ans. Ce qui confirme l’idée d’une radicalisation d’une partie de la droite française depuis le début des années 2000 – certains diraient sa « buissonisation », du nom de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson. Avec pour conséquence de marginaliser les positions modérées, autrefois majoritaires. Sur ces querelles qui enflamment la société française, il serait illusoire de penser que la victoire d’un camp ou de l’autre à la primaire, voire à l’élection présidentielle, viendra clore le débat. Quel que soit celui qui l’emporte à court terme, le combat entre les partisans d’une France ouverte et ceux d’une France fermée a encore, à droite, de beaux jours devant lui. 

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