Les Ouménés de Bonnada ont pour désagréables voisins les Nippos de Pommédé. Les Nibbonis de Bonnaris s’entendent soit avec les Nippos de Pommédé, soit avec les Rijabons de Carabule pour amorcer une menace contre les Ouménés de Bonnada, après naturellement s’être alliés avec les Bitules de Rotrarque, ou après avoir momentanément, par engagements secrets, neutralisé les Rijobettes de Billiguette qui sont situés sur le flanc des Kolvites de Beulet qui couvrent le pays des Ouménés de Bonnada et la partie nord-ouest du turitaire des Nippos de Pommédé, au-delà des Prochus d’Osteboule.

La situation naturellement ne se présente pas toujours d’une façon aussi simple : car les Ouménés de Bonnada sont traversés eux-mêmes par quatre courants, ceux des Dohommédés de Bonnada, des Odobommédés de Bonnada, des Orodommédés de Bonnada et, enfin, des Dovoboddémonédés de Bonnada.

Ces courants d’opinion ne sont pas en fait des bases et se contrecarrent et se subdivisent, comme on pense bien, suivant les circonstances, si bien que l’opinion des Dovoboddémonédés de Bonnada n’est qu’une opinion moyenne et l’on ne trouverait sûrement pas dix Dovoboddémonédés qui la partagent et peut-être pas trois, quoiqu’ils acceptent de s’y tenir quelques instants pour la facilité, non certes du gouvernement, mais du recensement des opinions qui se fait trois fois par jour, quoique selon certains ce soit trop peu même pour une simple indication, tandis que, selon d’autres, peut-être utopistes, le recensement de l’opinion du matin et de celle du soir serait pratiquement suffisant.

Il y a aussi des opinions franchement d’opposition, en dehors des Odobommédés. Ce sont celles des Rodobodébommédés, avec lesquels aucun accord n’a pu jamais se faire, sauf naturellement sur le droit à la discussion, dont ils usent plus abondamment que n’importe quelle autre fraction des Ouménés de Bonnada, dont ils usent intarissablement.

 

Le langage, sans doute, est inadapté à décrire le réel. Mais fort utile pour qui veut diriger autrui (au hasard : pour les hommes politiques). Ainsi, quand Rivarol, au xviiie siècle, vante le génie universel du français, et sa clarté, il ne dit rien de notre langue en tant que telle, mais seulement le pouvoir d’un pays. Aussi, faut-il lire la citation de François-Marie Arouet, dit Voltaire, en exergue du Secret de la situation politique, comme une remise en cause drolatique des certitudes du penseur. Et les noms inventés, qui agglutinent de plus en plus de syllabes jusqu’au bégaiement enfantin, comme la quête souriante d’un espéranto. Henri Michaux publie ce poème en 1946 dans la revue Combat avant de l’insérer dans Face aux verrous. C’est moins le commentaire d’une époque que le prolongement de recherches anciennes dont témoignait déjà le volume Ailleurs. Michaux créait alors des pays imaginaires, comme autant d’« États tampons » pour se protéger de la réalité. Rien de bêtement didactique, non, mais de quoi approcher les problèmes vitaux en s’affranchissant des nations toutes faites. Michaux a toujours été fasciné par les distinctions mouvantes et permanentes entre les peuples, et agacé par les gouvernants qui manipulent leurs maladies de nerfs. Aux politiques qui s’excitent aujourd’hui sur les malheurs identitaires de l’Hexagone, proposons donc cette solution originale tirée d’un de ses entretiens : « Même la France, au bout d’un certain nombre d’années, devrait changer de nom, par honnêteté, pour se dégager du mythe France. » 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !