« Il ne s’agit pas de trouver le sommeil, mais notre sommeil. » Le docteur Marc Rey, responsable du centre du sommeil de l’hôpital de la Timone, à Marseille1, est catégorique : pour mieux dormir, il faut se connaître. Et agir sur tous les facteurs en même temps pour éviter de se décourager, ajoute Joëlle Adrien, directrice de recherche à l’Inserm2.

Les remèdes de grand-mère fonctionnent, bien sûr : se laisser apaiser par une infusion de camomille ou vaporiser de la lavande sur l’oreiller par exemple. « J’achète des gélules à base de valériane. Ça doit avoir le même effet calmant que des litres et des litres de tisane », sourit Valérie, 56 ans. Autre solution simple : baisser le thermostat – de la chambre et du corps. L’organisme doit en effet perdre au moins un degré pour glisser dans le sommeil. La douche du soir sera donc tiède plutôt que brûlante, et la chambre chauffée (ou aérée) pour atteindre 16 à 18 degrés, pas plus. Emmanuel, 36 ans, l’a découvert lors d’une visite chez sa mère : « Le chauffage était en panne. J’ai hyper bien dormi. Sous deux couettes, mais dans une chambre très fraîche. » 

Songez aussi à bannir les empêcheurs de dormir en rond. Le chat qui choisit le lit comme étape de sa balade nocturne, les messages Facebook des amis insomniaques, la lumière agaçante du radio-réveil… Sans oublier de se protéger du bruit et d’envisager, si votre lit a plus de dix ans, de l’envoyer au cimetière de la literie.

Reste le grand sevrage de l’époque : celui des écrans. Car leur lumière, bleue comme le ciel du matin, bloque la mélatonine et annonce à l’organisme qu’il fait jour. « Je regardais des vidéos stupides sur YouTube jusqu’à 3-4 heures du matin, c’était addictif, poursuit Emmanuel. Avec des amis, nous nous sommes promis de bannir les écrans de notre chambre, téléphone compris. Résultat : je lis beaucoup plus qu’avant. Et je dors plus tôt. »

« On organise des troubles du sommeil pour des millions de Français ! »

Au-delà de ces astuces « externes », se réconcilier avec Morphée consiste à renouer avec son rythme intérieur. Environ 10 % des Français seraient lève-tôt (avant 6 heures du matin) et une autre minorité lève-tard (vers 9 heures). Certains dorment naturellement peu, d’autres sont « longs dormeurs ». Et ces rythmes ont des origines génétiques, comme l’ont montré Hall, Rosbash et Young, les lauréats du dernier prix Nobel de médecine. « Les chronotypes existent depuis des millénaires, parce que, sur vingt-quatre heures, il faut des humains pour surveiller le feu la nuit, d’autres pour raviver la braise au petit matin », explique la scientifique et sophrologue Clémence Peix Lavallée3. Dans son cabinet parisien, elle réconcilie chaque jour des patients avec leur horloge personnelle. « Beaucoup de patrons se découvrent lève-tard et me demandent s’ils peuvent faire autrement, raconte-t-elle. Je leur réponds que pour contrarier leur biologie, ils peuvent seulement changer de père et de mère. » Le professeur Marc Rey rappelle ainsi que les femmes dorment un peu plus que les hommes. « Si une dame longue dormeuse veut se coucher à la même heure que son mari court dormeur, elle va accumuler une dette de sommeil, c’est mathématique », expose-t-il. Et de s’insurger contre les horaires de nuit et le travail posté : « On organise des troubles du sommeil pour des millions de Français ! »

Alors comment découvrir son propre rythme ? Le professeur conseille de s’observer durant la deuxième semaine des vacances – la première servant à récupérer. Quelle est alors la durée idéale de votre nuit ? Et l’heure naturelle de votre réveil ? 

Reste ensuite à appliquer la première règle d’or : se lever tous les jours à cette même heure, qui correspond à la fin d’un cycle de sommeil. « Mieux vaut dormir une demi-heure de moins mais respecter son horloge », assure Clémence Peix Lavallée, rappelant que grasses matinées et couchers tardifs sont autant de mini jet lags pour l’organisme.

« Le train du sommeil passe à heures fixes et reste à quai dix minutes ! »

Le soir, rien ne sert de se forcer à se coucher – c’est irritant et cela ne fait que repousser l’endormissement. Mais il ne s’agit pas non plus de rater le « train du sommeil » : « Il passe à heures fixes et reste à quai dix minutes ! » souligne la sophrologue. Bâillements, picotements, sensation de froid… tous ces indices doivent mener vers le lit. Sous peine de devoir attendre le prochain « train », une heure et demie plus tard.

Livia, 39 ans, « grande stressée », dompte ses périodes d’insomnie par un cocktail d’habitudes : footing et vélo en journée – c’est la seconde règle d’or : accumuler suffisamment de fatigue pour réussir à dormir le moment venu –, aucune série télé en soirée, peu d’alcool… « J’ai une vie très réglée le soir, limite ennuyeuse. Mais au moins je dors ! raconte-t-elle. Et j’essaie de me lever tous les jours à la même heure. » Dans ce vaste mouvement de balancier entre veille et sommeil, l’hygiène de vie est effectivement décisive. Une digestion lourde chassera le sommeil, tout comme un film d’horreur, une dispute, une séance de sport tardive… « Il faut compter ensuite trois heures pour que la température redescende », affirme Clémence Peix Lavallée. Elle recommande un film calme, un livre plaisant… « Et puis les câlins, les bisous… La paix dans le cœur c’est très réconfortant, comme pour les enfants », ajoute-t-elle.

« Notre société a tellement dévalorisé le sommeil qu’il faut rééduquer les gens »

Au centre du sommeil de Marseille, les équipes procèdent à des « enregistrements de nuit » dans les cas les plus préoccupants. Mais, pour l’essentiel, la thérapie est cognitive et comportementale (TCC). On rappelle que le lit n’est pas un bureau ni un endroit pour manger, que dormir n’est pas du temps perdu, au contraire… « Notre société a tellement dévalorisé le sommeil qu’il faut rééduquer les gens, constate le professeur Marc Rey. Les médicaments hypnotiques sont déconseillés mais remboursés par la Sécu, alors que les TCC, recommandées par la Haute Autorité de santé, ne sont pas remboursées. Les thérapeutes ont moins d’influence que les labos ! »

Et puis il y a tous ceux qui n’arrivent pas à débrancher le « petit vélo » dans la tête. Des tracas au bureau, un conflit conjugal, ou même des travaux qui s’éternisent dans la maison, et c’est toute la nuit qui blanchit. Emmanuel garde désormais un carnet à portée de main pour noter « le truc de boulot que j’ai peur d’oublier et qui me tracasse toute la nuit ». Valérie se plonge dans un roman lorsqu’elle se réveille en pleine nuit. « Je prends ces moments d’insomnie avec philosophie, ça ne doit pas devenir un problème crispant », estime-t-elle. 

Certains médecins conseillent même de se lever lorsque le réveil nocturne dure plus de vingt minutes. Pour eux, le lit devrait servir exclusivement à dormir et faire l’amour !

Pour Juliana, 33 ans et grande anxieuse, la solution est venue de la mélatonine en comprimés. Depuis quinze ans, elle tournait en rond jusqu’à une ou deux heures du matin et sentait sa mémoire flancher à cause des somnifères. « Avec la mélatonine, j’ai été guérie en 4 mois ! raconte-t-elle. Je sens le sommeil venir peu à peu, comme quand j’étais enfant. C’est merveilleux. »

Martine, 36 ans, a recours à de la musique en fin de journée. Elle choisit des mélodies calées sur les fréquences dites « ondes alpha », celles qu’adopte le cerveau lorsque nous sommes éveillés mais au repos. « Il ne faut pas forcément y prêter attention, rassure-t-elle. Je les mets en fond sonore et je vaque à mes occupations normalement. Le côté subliminal fonctionne plutôt bien. » Une fois au lit, elle s’endort en un quart d’heure, contre une à deux heures de cogitation par le passé.

Tout l’art consiste finalement à « préparer les trois portes d’entrée dans le sommeil : le corps, le système nerveux et le mental », résume Clémence Peix Lavallée. Cet apprentissage peut se faire avec un sophrologue – son site Bienrelax.com recense ceux qui se sont spécialisés dans le sommeil –, mais aussi avec de simples podcasts. Dans ces enregistrements sonores, une voix invite à visualiser un lieu agréable, à se concentrer sur la respiration, à relâcher telle ou telle partie du corps… 

« Elle m’a prescrit des podcasts de sophrologie. C’était noté sur l’ordonnance ! »

C’est ce qui a sauvé Siham, 30 ans. « J’étais arrivée à un stade où je dormais deux ou trois heures par nuit. J’ai frôlé l’accident de voiture plusieurs fois, je faisais des malaises vagaux… » Arrêtée avec une tension au plus bas, la jeune femme change de généraliste. « Elle m’a prescrit des podcasts de sophrologie. C’était noté sur l’ordonnance ! raconte-t-elle, encore étonnée. Ça a changé toute ma vie : depuis décembre, je fais les exercices et je dors huit heures d’affilée. ça ne m’était pas arrivé depuis des années. »

Dans une minorité de cas, les troubles du sommeil ont des causes physiologiques, comme les impatiences dans les jambes. Marie-Agnès Visse, 62 ans, a découvert à la trentaine qu’elle souffrait d’apnées du sommeil. Elle venait d’avoir un accident de voiture, à cause de sa fatigue extrême. Un pneumologue a identifié la cause. « L’apnée du sommeil, ce sont les voies aériennes supérieures qui se bouchent durant la nuit. Comme j’étais tout le temps en apnée, mon cœur et mon cerveau se fatiguaient », se souvient cette bénévole de l’association FFAAIR, la Fédération française des associations et amicales de malades, insuffisants ou handicapés respiratoires. Comme elle, près d’un million d’apnéiques en France dorment appareillés : un masque leur insuffle de l’air en continu pour empêcher l’obstruction des conduits. Malgré les améliorations des fabricants, la moitié des patients interrogés trouvent l’équipement inconfortable, d’après une étude de l’association Alliance apnées du sommeil. 

Et puis il y a ceux et celles qui ne savent pas se réveiller, comme Sarah, 34 ans. Pendant des années, elle a dormi d’un sommeil de plomb mais mettait des heures à émerger le matin et se sentait toujours fatiguée. Un ORL a percé le mystère : la cloison septale, qui sépare les narines au-delà de la cloison nasale, ne laissait pas passer assez d’air. Résultat : un cerveau trop peu oxygéné pendant la nuit et un réveil extrêmement laborieux. « J’ai été opérée, en ambulatoire, pour rectifier cette cloison. Ça a été radical. Depuis sept ans, je me réveille comme une fleur », raconte-t-elle.

Dans le vaste mystère de nos nuits, chacun doit donc trouver la clé de son sommeil. La médecine peut aider – les centres du sommeil se multiplient –, mais la première étape consiste à en parler à un généraliste… en espérant qu’il maîtrise le sujet. En France, en effet, le sommeil n’est devenu une spécialité des études de médecine que l’année dernière. 

 

1. Auteur de  Quand le sommeil nous éveille : dormir pour construire son cerveau, Solar, 2017.

2. Dormir et vaincre l’insomnie, Larousse, 2014.

3. Bien dormir sans médicaments, Odile Jacob, 2016.

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