Sous l’effet d’une grosse fatigue, une partie de la population mondiale éprouve l’envie de ralentir, de « tirer sa flemme », selon l’expression populaire. Phénomène largement inédit. On l’observe en Chine, avec la grande « tribu des couchés », ces jeunes qui refusent les journées de travail à rallonge et le rythme effréné qui va avec. Le mouvement a été lancé en avril 2021 par le post d’un ouvrier proclamant : « Se coucher, c’est la justice. » On le constate aux États-Unis où des dizaines de millions d’employés ont démissionné de leur poste depuis 2020 – ce qu’on appelle la Great Resignation –, quand d’autres décident de lever le pied – c’est le quiet quitting ou démission silencieuse.

La France n’est pas indemne. Dans l’une des dernières notes de la Fondation Jean-Jaurès, Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier identifient une montée de la flemme et du repli chez soi venant ponctuer la série des chocs encaissés par la société : vague terroriste des années 2015-2017, mouvement des Gilets jaunes, crise sanitaire du Covid… Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Jérôme Fourquet note que 30 à 45 % des personnes sondées par l’Ifop déclarent être moins motivées qu’auparavant. Cette flemmingite aiguë retient d’autant plus l’attention qu’elle n’est pas également partagée. Alors que l’attrait du canapé n’a jamais semblé aussi irrésistible – fantasme d’avachissement consolateur évoqué dans ce numéro par la philosophe Géraldine Mosna-Savoye –, le nombre des actifs au travail n’a jamais été aussi élevé depuis des décennies.

Génie du capitalisme que de savoir aussi bien exploiter la force de travail que la paresse

Le décrochage, la procrastination et l’envie de laisser filer les choses ne sont donc pas un phénomène général. Mais cette tendance a été assez puissante pour susciter l’intérêt de nombreux investisseurs, au point de faire décoller une véritable « économie de la flemme ». Des plateformes numériques se sont fixé pour ambition de livrer à domicile tous ceux qui ne veulent plus se donner la peine de sortir. « Vous avez la flemme, nous avons la flamme », assure l’un des leaders de la viande surgelée. Marché immense. Vos repas – des croissants du petit-déjeuner aux sushis du dîner – vous sont livrés. Vos courses, si barbantes et si lourdes, vous sont épargnées. Vos divertissements (films, séries ou matchs) vous sont proposés at home alors que vous êtes lové dans le fameux canapé… Génie du capitalisme que de savoir aussi bien exploiter la force de travail que la paresse.

Le grand basculement en cours, aussi sociétal que technique et industriel, est une révolution des codes sociaux, nous explique le sociologue Jean Viard. Paradoxe : la société numérique bouleverse tout sur son passage, accélérant nos rythmes et nos cadences, en nous faisant aspirer comme jamais à freiner ! Une invitation à la paresse… 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !