Les générations se succèdent, et avec elles s’estompent les couleurs composant un tableau qui, certes, n’appartenait déjà à aucune « école », mais était reconnaissable au premier coup d’œil. Celui de la Ve République. Pour le dire plus directement, la seule référence qui demeure pour les étudiants d’un amphithéâtre de première année de droit constitutionnel est celle de Charles de Gaulle. Le reste n’est que – très – vagues connaissances, transmissions familiales ou médiatiques, appréhension et compréhension lointaines d’un objet paraissant tout aussi lointain. Le reste n’est plus « culture ». La jeunesse française n’a plus la culture de la République, l’intérêt pour la Cité, le goût de la citoyenneté.

Aucune réforme ne peut être envisagée abstraction faite du plus grand fléau de la démocratie. L’abstention est devenue un enfer dans lequel gisent les espérances de ceux qui croient encore au principe d’un « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Un enfer qui a pris possession d’un peuple qui a pourtant décidé, lors du grand été de 1789, qu’il deviendrait l’unique détenteur de la souveraineté.

L’attente du messie est aussi dangereuse que l’inaction

Les causes de l’abstention sont multifactorielles, mais l’élément humain est régulièrement avancé. L’attente du messie est aussi dangereuse que l’inaction, et la grande force du droit est de pouvoir redonner du souffle politique à travers son ingénierie technique. On ne sera jamais fiers de nos candidats si on ne l’est pas de nos institutions. Celles-ci n’existent que parce que, un jour de 1958, nos aînés ont répondu « oui » (à 82,60 %) à la Constitution de la Ve République en glissant dans l’urne un bulletin plus puissant qu’une balle de fusil, pour reprendre l’image de Lincoln. De problème à rectifier, le désenchantement citoyen devient le premier fléau à combattre. C’est en se souvenant de ces statistiques que le président de la République réélu va devoir refonder sa société.

Les réformes qui vont être entreprises doivent toutes être orientées vers le même objectif : permettre à la Ve République de retrouver son sens, son énergie, son identité – atypie comprise. Elle n’a pas besoin de réformettes, mais d’un rehaussement d’envergure qui, à travers le réenchantement citoyen, lui permettra de s’atteler aux choses à la fois les plus intimes et les plus fondamentales comme le pouvoir d’achat. Au sein d’une République, tout est connecté : les grandes et les « petites » questions, les modifications qui paraissent pour certaines abstraites, pour d’autres techniques. La difficulté principale pour un chef d’État est de rendre l’ensemble cohérent. En politique contemporaine, la cohérence devient une vertu aussi principielle que l’était la mesure pour les Anciens.

Parmi les propositions du président de la République réélu figurent des réformes institutionnelles qui pourraient – ou non – contribuer à ce réenchantement, à une sortie de la crise, à une mise en cohérence de nos institutions devenues fragiles. Sorties du contexte de la crise sanitaire (la pandémie), politique (l’affaire Benalla) et international (la guerre en Ukraine), les réformes avortées sous le précédent quinquennat pourraient être sévèrement analysées. Durant la campagne présidentielle de 2017, le candidat avait fait de la moralisation de la vie politique un argument électoral, le « renouveau démocratique » devant être l’un des grands chantiers de son premier mandat à travers une réforme institutionnelle profonde. Sans même parler du « pacte girondin » qui devait permettre aux collectivités territoriales d’agir dans une relation moins verticale. Or, la réforme constitutionnelle présentée en 2018 n’a pas eu lieu, malgré une tentative de réanimation en 2019.

La Ve République n’a pas besoin de réformettes, mais d’un rehaussement d’envergure

Aux « accidents » rappelés ci-dessus, indépendants de la volonté présidentielle, s’est ajouté l’obstacle parlementaire. Lors du précédent mandat, Emmanuel Macron n’a pas pu s’appuyer sereinement sur une majorité pléthorique à l’Assemblée nationale, et encore moins sur un Sénat récalcitrant. Au moment où nous écrivons, l’hypothèse d’une majorité confortable et disciplinée s’est évanouie. Le président réélu n’entend pas pour autant abandonner la réforme de la rénovation des institutions. Pour éviter de nouveaux blocages, essentiellement parlementaires, il a repris pendant la campagne des propositions substantielles qu’il entend concrétiser, au vu des échecs précédents, grâce à un « changement de méthode ».

Aussi Emmanuel Macron a-t-il évoqué l’adoption du scrutin proportionnel aux élections législatives, ainsi qu’un retour au septennat avec des élections à mi-mandat.

La première de ces propositions est un très vieux serpent de mer qu’il est grand temps de décapiter. L’adoption de la représentation proportionnelle est en cohérence avec l’idée que l’on doit se faire de la démocratie. Laquelle n’est pas un mode de gouvernement à « géométrie variable », que l’on devrait chérir quand nous sommes fiers du résultat, et honnir quand les extrêmes – pour ceux qui les combattent – figurent au second tour des grands rendez-vous électoraux. Soit on est démocrate, soit on ne l’est pas. Si l’on se proclame tel, alors, il est d’une évidence logique, ontologique, de plaider pour la proportionnelle. Laquelle, quelles que soient ses variantes subtiles – avec ou sans prime majoritaire, au plus fort reste ou à la plus forte moyenne, avec ou sans panachage –, sera toujours plus juste, plus représentative des volontés des urnes, moins méprisante de ces dernières. Emmanuel Macron s’est dit favorable à plusieurs reprises à un tel mode de scrutin ; son inaction dans le domaine a largement alimenté le discours de ses détracteurs. À la pertinence de la réforme s’ajoute la rapidité de son exécution : nul besoin de passer par une loi constitutionnelle dont on sait les difficultés techniques et politiques.

Si l’on se proclame démocrate, il est d’une évidence logique de plaider pour la proportionnelle

En revanche, concernant la seconde proposition, impossible de passer outre l’article 89 de la Constitution pour remplacer le quinquennat par le septennat. Que ce soit par la voie du référendum (comme ce fut le cas pour l’instauration du quinquennat en 2000) ou du Congrès, le rétablissement du septennat ne peut se faire que par une loi constitutionnelle. Si l’idée doit être défendue (les dernières élections ont particulièrement mis en évidence l’inconsistance de la règle de la brièveté d’un mandat renouvelable), la question de l’obstacle politique surgit encore et toujours. La majorité qualifiée des trois cinquièmes au Congrès ne suffit pas à assurer la faisabilité d’une réforme constitutionnelle, comme l’a prouvé l’histoire institutionnelle récente.

Quant aux élections législatives à mi-mandat, elles méritent une réflexion bien plus approfondie que celle que nous pouvons mener ici, mais une chose est certaine : si le vent de l’exemple souffle des États-Unis (malheureusement, l’hypothèse est plausible, étant donné que plusieurs médias ont utilisé le terme en anglais), c’est que nos gouvernants n’ont, décidément, définitivement rien compris à la subtilité du comparatisme. Les midterm elections n’ont de sens qu’au sein d’un régime présidentiel, lequel, en réalité, n’existe – démocratiquement – qu’aux États-Unis. S’inspirer dudit système, surtout pour tenter une greffe dans le nôtre, si unique, est une erreur non seulement politique, mais aussi juridique.

Pour mettre en route ces réformes et ne pas se heurter aux mêmes obstacles que précédemment, Emmanuel Macron a évoqué un « changement de méthode ». « Ma proposition, a-t-il énoncé le 13 avril sur France 2, c’est de pouvoir mettre en place une commission transpartisane, avec toutes les sensibilités politiques, qui puisse ensuite soumettre aux deux assemblées une proposition de réforme de notre Constitution pour précisément la renouveler et l’améliorer. » Les Français sont habitués aux comités, commissions et autres « assises », composés d’« experts » proclamés ou autoproclamés et nommés dans d’opaques conditions. Je suis d’autant mieux placée pour formuler la critique que je fus membre de l’un d’eux. Sous la Ve République, la tradition veut qu’une réforme constitutionnelle d’envergure soit précédée de travaux d’un comité désigné par le président de la République, généralement présidé par une personnalité politique qui n’est plus aux affaires ou par un grand universitaire (mais ça, c’était avant). Pour le nouveau chantier institutionnel annoncé, le président de la République a trouvé autre chose que ce que d’aucuns s’empresseraient de qualifier de énième comité Théodule : une commission transpartisane composée de « figures d’autorité ».

Il ne s’agit pas de plaider pour une vision statique et anachronique de notre régime, mais pour la cohérence de sa réforme globale

Revenons-en à la logique de cohérence d’ensemble qui doit tout à la fois animer et guider la volonté des réformateurs. Qu’y a-t-il de commun, susceptible d’être un maillage, entre la proportionnelle, les élections à mi-mandat, le retour au septennat, le tout étant « pensé » par une commission composée de personnalités politiques ? Chaque élément peut se défendre, isolément. Toutefois, la cohérence d’ensemble non seulement n’est pas évidente, mais brouille le paysage : la tentative de revalorisation de la voix du peuple, avec la mise en place de « respirations démocratiques », ne s’accorde pas naturellement avec la teinte présidentialiste du régime. L’ensemble laisse même entrevoir des contradictions. Instaurer la proportionnelle, c’est revaloriser le suffrage universel. Mais faire précéder les travaux parlementaires de ceux d’une commission transpartisane non issue dudit suffrage poursuit un autre objectif, ne répond pas à la même logique. Jamais, dans une démocratie, les représentants ne doivent être dépossédés – ou avoir l’impression de l’être – de leur mandat. C’est aussi la raison pour laquelle les référendums et conférences citoyennes auront toujours du mal à s’imposer dans le paysage représentatif de la Ve République. Encore une fois, il ne s’agit pas de plaider pour une vision statique et anachronique de notre régime, mais pour la cohérence de sa réforme globale. Sinon, à trop créer des « monstres éphémères », pour reprendre le mot de Tocqueville, on glissera vers un autre régime. Sur ce point aussi, la juriste n’a aucun problème. Mais alors, nos gouvernants ont l’obligation morale de nommer ce glissement, même s’il figure dans le programme des concurrents. 

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