Dans l’Antiquité hellénistique et romaine, les dirigeants politiques, rois ou empereurs, n’hésitaient pas à se présenter comme des dieux. Jean-Jacques Rousseau estimait que ce procédé était compréhensible, car il est difficile de se soumettre à quelqu’un qu’on tient pour son égal. Mais la vraie question politique était plutôt à ses yeux de trouver une forme d’association à laquelle les citoyens puissent se soumettre en conservant leur liberté.

Dans les temps modernes, les analogies faisant de l’homme d’État un personnage mythologique étaient fréquentes : Napoléon, parti de la petite Corse pour régner sur l’Europe, fut comparé à Prométhée pour ses exploits « surhumains ». Mais une telle comparaison est à double tranchant : si Prométhée est celui qui parvient à dérober le feu aux dieux, devenant ainsi un symbole de l’émancipation humaine, il finit aussi sur un rocher, le foie éternellement dévoré par un aigle. Les observateurs s’en souviendront lors de la chute de l’empereur, qui dut s’exiler sur un rocher au milieu des flots, l’île volcanique de Sainte-Hélène.

Le problème de fond du macronisme ne se résoudra pas par des emprunts à la mythologie : il tient au vide idéologique qui le constitue

Emmanuel Macron a tenté de construire sa propre légende en se comparant, dans un premier temps, à Jupiter – non seulement un dieu, mais le « roi des dieux ». Le symbole visait à suggérer que le pouvoir présidentiel allait à nouveau assumer sa « verticalité », là où la tentative d’incarner un « président normal » semblait avoir échoué à séduire l’opinion. « Besoin de chef » ? Là aussi, la comparaison devait s’avérer à double tranchant : elle faisait apparaître le président comme un homme isolé et arrogant, méprisant les médiations, les corps intermédiaires, croyant pouvoir tout décider d’« en haut » ; et, comme dans la mythologie les géants se révoltèrent contre les dieux de l’Olympe, les Gilets jaunes se révoltèrent contre ce souverain méprisant. Macron dut redescendre sur terre en arpentant la France pour une série de « grands débats » avec les citoyens. Réélu, le président avait annoncé qu’il avait bien mué et qu’il ne jouerait plus les Jupiter. Un mythe de secours ? Un de ses conseillers lui a soufflé : Héphaïstos, dieu de la forge, travail patient, humble et souterrain. Là encore, la comparaison pourrait être à double tranchant : Héphaïstos boite. Or, alors qu’il avait annoncé qu’il gouvernerait « en même temps » avec des idées de droite et d’autres de gauche, il a été rapidement dit qu’il avait « oublié sa jambe gauche ». La reprise entre les deux tours de thèmes portés par les partis de gauche, comme la planification écologique, et un discours plus ouvert sur la société multiculturelle n’ont pas réussi à casser l’image : sa jambe droite reste plus longue que sa jambe gauche. Il prétend se réinventer, mais n’a-t-on pas vu, entre les deux tours des législatives, un rapprochement s’effectuer avec la droite pour pallier une éventuelle absence de majorité absolue de son mouvement ?

Le problème de fond du macronisme ne se résoudra pas par des emprunts à la mythologie : il tient au vide idéologique qui le constitue. Surfant sur une lassitude vis-à-vis de la structuration partisane et bipartite de la vie politique, Macron a d’abord réussi à faire de ce vide une force, car, comme l’a montré Ernesto Laclau, en politique, des « signifiants vides » peuvent permettre de capter des attentes diffuses, et divers segments de la société peuvent se projeter sur des mots d’ordre vagues, « en marche ! », « start-up nation », « progrès contre fermeture ». Mais dans un contexte de concurrence politique où il faut se définir de nouveau, non plus seulement par opposition à l’extrême droite, mais surtout par rapport à la gauche unie, le macronisme peine à trouver une boussole. 

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