Comment se structure le pouvoir dans le monde des sorciers ?

On comprend rapidement que ce monde est une sorte d’État parallèle. Il est régi par le ministère de la Magie, qui coexiste, en toute autonomie et en toute indépendance, avec les institutions britanniques « moldues ». Ce ministère de la Magie ressemble au premier abord à n’importe quelle institution politique classique. J.K. Rowling met d’ailleurs volontiers en avant toutes les incohérences et les absurdités de la bureaucratie, qui veut tout mesurer et standardiser, y compris les fonds de chaudron. Elle décrit les opérations de contrôle et d’inspection, les procédures laborieuses, le dédale des bureaux et des dossiers…

Parmi ces institutions magiques, il y a également un système de justice, qui juge et sanctionne les sorciers qui se livrent à des actes illicites – essentiellement les crimes graves. C’est une justice assez archaïque. Les accusés n’ont une capacité de défense que très limitée, et la punition, surtout, paraît disproportionnée : l’emprisonnement à Azkaban. Cette prison est l’un des éléments les plus problématiques de la saga. C’est un véritable lieu de perdition où l’on est enfermé à vie, un peu comme ces bagnes du xixe siècle. Aucune forme de réhabilitation n’est possible puisque les gardiens, les détraqueurs, aspirent votre âme. Pire qu’une peine de mort, c’est presque de la lobotomie.

Par d’autres aspects, le monde des sorciers est toutefois assez avant-gardiste. Je pense par exemple à la coopération internationale au sein de la « Confédération internationale des sorciers », une sorte d’ONU magique établie, d’après les romans, en 1689, qui parvient à faire respecter dans le monde entier le « Code international du secret magique ».

Ce sont donc plusieurs inspirations, archaïques comme progressistes, qui structurent le monde de la magie. Et ce n’est pas anodin : je pense que Rowling a vraiment voulu souligner les contradictions internes à la communauté des sorciers, qui peut se montrer à la fois très progressiste et tout à fait rétrograde et injuste !

Quels sont les droits des sorciers ?

Il faut déjà rappeler que dans l’univers d’Harry Potter, ceux-ci ne sont pas les seules entités magiques : il y a des centaures, des elfes, des gobelins et toutes sortes d’animaux dotés de pouvoir. Toutefois, les sorciers sont les seuls à avoir de véritables droits – les elfes, eux, sont pratiquement des esclaves, et les autres créatures évoluent dans une sorte de zone grise. Les sorciers eux-mêmes n’ont pas les mêmes droits selon qu’ils sont magiciens ou « cracmols », incapables de pratiquer la magie. C’est une vraie société de classes. En ce qui concerne les sorciers, ils ont bien sûr des droits et des devoirs : ils peuvent ouvrir un compte en banque, être propriétaires… Ils peuvent passer des contrats – encadrés par la magie, comme le « serment inviolable », et surtout ils sont liés par une sorte de Code pénal qui réglemente l’usage de la magie. Les mineurs n’ont pas le droit de la pratiquer en dehors de leur école, les sorciers ne doivent pas être vus par les moldus, l’élevage de dragons est interdit… Il existe aussi des « sortilèges impardonnables », dont la pratique est interdite depuis 1717, qui permettent de contrôler, de faire souffrir ou de tuer un être humain.

La question centrale de la saga n’est-elle pas justement celle du bon usage du pouvoir ?

En effet. Tout l’enjeu de l’éducation des jeunes sorciers à Poudlard, c’est l’apprentissage de la responsabilité. On leur confie dès le plus jeune âge une baguette magique, un objet d’une grande puissance, qui peut aussi bien servir pour les tâches ménagères que pour se battre. Et ils doivent apprendre à utiliser cet objet surpuissant de manière responsable et dans les limites imposées.

« Vous avez le droit d’avoir votre arme ou votre baguette, si vous en faites un usage responsable »

Ce qui est intéressant, de ce point de vue, c’est qu’il n’existe en vérité que très peu de sorts interdits. Tous les sorciers ont à leur disposition un immense arsenal de sortilèges qui peuvent s’avérer immensément problématiques. Le trio de héros ne se prive d’ailleurs pas d’utiliser un simple sort d’ouverture de porte pour pénétrer dans un endroit interdit, d’aveugler un de leurs professeurs pour masquer leurs bêtises, de pétrifier un de leurs propres camarades, sans grandes conséquences… Hermione va même aller jusqu’à effacer la mémoire de ses propres parents pour leur faire oublier son existence. Ce n’est pas à proprement parler un sort impardonnable, même s’il cause un vrai préjudice à autrui. Ce qui compte, comme dans le droit, c’est le contexte et l’intention. Dans ce monde magique, presque tout est possible, c’est au sorcier lui-même de se contrôler. Cela fait un peu penser à la régulation du port d’armes : vous avez le droit d’avoir votre arme ou votre baguette, si vous en faites un usage responsable.

Ce que les Mangemorts refusent de faire…

Oui, pour ces mages noirs, il n’y a aucune raison de contrôler son usage de la magie. Revenons un instant à la question des institutions magiques. Elles ont été créées par les sorciers pour s’autoréguler. Ceux-ci ont bien conscience d’avoir un pouvoir quasi infini, qui leur permettrait, s’ils le voulaient, de soumettre toutes les autres espèces, humains compris. Ils ont également conscience du pouvoir potentiellement destructeur de la magie envers les sorciers eux-mêmes – c’est le cas des Horcruxes, qui corrompent l’âme de ceux qui les invoquent. Pour se protéger de la destruction mutuelle et pour éviter de réduire les humains en esclavage, ils ont donc mis en place une forme de « contrat social » qui encadre leur usage de la magie, pour protéger les communautés magiques et humaines. C’est ce contrat social que les Mangemorts rejettent. Ils constituent en quelque sorte une frange « radicalisée » de la communauté magique, qui s’estime autorisée à utiliser ses pouvoirs à leur plein potentiel, y compris sur les humains qu’ils considèrent comme inférieurs. On comprend alors qu’il n’y a pas de différence de nature entre magie noire et magie blanche. La première est simplement la version débridée de la seconde, jugée trop dangereuse par la communauté. On n’est pas loin de nos comités d’éthique, qui décident jusqu’où la science peut aller !

L’histoire d’Harry Potter est aussi celle de l’irruption d’un pouvoir autoritaire…

Et c’est peut-être l’aspect le plus réaliste de cette œuvre. Cela commence par l’absence manifeste de séparation des pouvoirs dans le monde des sorciers. Le ministère de la Magie, un organe politique, semble également contrôler le judiciaire et le juridictionnel : il chapeaute le système de justice, mais aussi les Aurors, sorte de brigade d’élite magique. Et l’on voit à quel point cela est problématique dans les derniers tomes, lorsque les Mangemorts mettent la main sur le ministère. C’est un vrai coup d’État. Le pouvoir légitime est neutralisé, le ministre de la Magie est remplacé par un fidèle de Voldemort, qui nomme à son tour des Mangemorts à tous les postes clés. Ils désignent de nouvelles autorités, notamment à Poudlard, font des procès arbitraires, des purges, modifient le droit positif en faveur de mesures extrêmement discriminatoires, et finissent par imprégner tout le système politique, éducatif, etc., de leurs propres valeurs. Une partie de leurs premières mesures autoritaires concerne d’ailleurs l’éducation : rétablissement des châtiments corporels, suspension des professeurs dissidents, modification des programmes, réécriture de l’histoire pour réaffirmer la supériorité des « sangs-purs »… La description que fait J.K. Rowling de ce qu’il advient lorsqu’un pouvoir illégitime prend brutalement le contrôle est criante de vérité.

Après la défaite de Voldemort, le monde des sorciers revient-il à la normale, avec tout ce que cela implique d’imperfections et d’injustices ?

Le dernier tome se conclut en effet par une sorte de retour à la normale. Mais je dirais qu’il y a quand même un optimisme politique dans Harry Potter. Au fil de la saga, les différents personnages gagnent en ouverture d’esprit. Ils sont amenés à collaborer avec différentes créatures magiques, à remettre en question leurs préjugés. Certains, comme les Malefoy ou d’autres Serpentards, suivent même un arc narratif de rédemption, et finissent par rejoindre le camp du Bien, aussi modestes que soient leurs actions. Surtout, on voit que le trio devient de plus en plus militant. À cet égard, la pièce de théâtre Harry Potter et l’Enfant maudit, considérée comme le huitième tome de la saga, est très intéressante. On y apprend que Potter est devenu Auror, que plusieurs membres de leur petit groupe se sont engagés dans l’association créée par Hermione pour la libération des elfes, et surtout qu’Hermione est devenue ministre de la Magie et qu’elle a réformé le statut des créatures magiques. Le message de la saga est un message d’espoir. Comme beaucoup de générations post-conflits, les jeunes sorciers vont profiter de cette fenêtre d’opportunité pour essayer de remettre le droit à plat et corriger les injustices causées par leurs aînés. 

 

Propos recueillis par LOU HÉLIOT

Vous avez aimé ? Partagez-le !