Qui est J.K. Rowling lorsqu’elle publie le premier tome d’Harry Potter, en 1997 ?

C’est une illustre inconnue, qui a travaillé comme secrétaire dans des associations avant de devenir enseignante. Lorsqu’elle présente Harry Potter à l’école des sorciers, le manuscrit est refusé par de nombreux agents, puis par beaucoup d’éditeurs, avant qu’il n’arrive chez Bloomsbury. La maison cherche alors à créer une collection jeunesse, et l’un de ses directeurs en fait lire les premiers chapitres à sa fille, qui tombe sous le charme et convainc son père de le publier. Une légende s’est construite autour de J.K. Rowling, qui aurait été sans le sou avant Harry Potter, presque à la rue, mais c’est une vision très exagérée. En revanche, elle a bien eu du mal à trouver un éditeur, et elle est en effet devenue riche en quelques années.  

« Chaque livre de la saga est construit comme une enquête dont le lecteur va essayer de trouver la solution avant les personnages »

Quelles sont ses influences ?

Évidemment, les classiques de la littérature britannique, qu’elle a lus très jeune, peuplés de ces récits de pensionnat typiques de l’éducation british. Mais la véritable inspiration de J.K. Rowling, c’est le roman policier : chaque livre de la saga est construit comme une enquête dont le lecteur va essayer de trouver la solution avant les personnages – ainsi du vol de la pierre philosophale, dans le premier tome, ou de la série de crimes commis à Poudlard, dans le deuxième. On retrouve là son goût pour Agatha Christie, mais aussi pour Emma de Jane Austen, œuvre annonciatrice du roman policier à énigme.

Qu’en est-il de l’environnement magique de la saga. S’inscrit-il dans une tradition ?

J.K. Rowling reprend quelques-uns des tropes du genre : les écoles de magie ou le personnage de grand mage à barbe blanche avec Dumbledore… Mais elle puise aussi dans la mythologie grecque, avec son Cerbère et ses centaures, dans la culture folklorique, avec les gobelins ou les trolls, ou encore dans l’astronomie, avec les noms de personnages comme Sirius ou Bellatrix, inspirés des étoiles… Son talent sera de réunir ces éléments épars dans un grand shaker, puis de les mettre en scène dans un cadre scolaire presque banal. C’est là la grande nouveauté de la saga : son héros, loin d’être figé dans le temps, va grandir avec ses lectrices et ses lecteurs et évoluer tout au long de sa scolarité.

D’où vient-il, ce personnage d’Harry Potter ?

J.K. Rowling a toujours affirmé qu’elle ne s’était inspirée de personne pour ses héros, à l’exception d’un seul : Gilderoy Lockhart, professeur ridicule et imbu de lui-même. De Potter, on sait simplement qu’il porte le nom de ses voisins, avec qui elle jouait enfant. De même, la voiture des Weasley, une Ford Anglia, était celle de son meilleur ami. Mais, s’il n’y a pas de clé évidente pour comprendre Harry, c’est aussi parce qu’elle a souhaité en faire un personnage universel, dans lequel les lecteurs pourraient se reconnaître plutôt que de s’y attacher, à l’inverse de Ron ou d’Hermione. Harry est un peu comme celui qui tient le livre, dans une position souvent passive. Il subit l’action et cherche des informations, préférant souvent rester en retrait, plutôt que d’incarner un héroïsme traditionnel. Bien sûr, il possède des pouvoirs magiques considérables, dont il oublie d’ailleurs de se servir par moments, mais son quotidien est très proche de celui de son lectorat : il va à l’école, il a des devoirs, il n’est pas le plus brillant de sa classe et a des peines de cœur. Ce n’est pas un fier chevalier dont on rêverait, mais un petit garçon qui nous ressemble.

Est-ce une œuvre réservée à la jeunesse ?

Chaque roman peut s’adresser à tout le monde. Dans le cas d’Harry Potter, il a si bien séduit les parents qui le lisaient à leurs enfants que l’éditeur britannique a rapidement sorti des versions « pour adultes » – la seule différence était la couverture ! En grandissant, le livre change avec le lecteur, des éléments différents apparaissent. Le philtre d’amour du sixième tome, qui peut paraître amusant à 12 ans, l’est beaucoup moins à 20, quand s’impose la question de la drogue et du consentement. Il est donc important que les adultes lisent ces livres destinés aux enfants pour ouvrir le débat, comprendre ce qui les fait rire ou amorcer des réflexions en famille sur des thématiques fortes. La saga évoque aussi bien la question du deuil, de la solitude, de la colère que le racisme envers ceux qui ne sont pas de sang pur, ou le sexisme, lorsque Ron, par exemple, remet en question la liberté de sa sœur de sortir avec qui elle veut. Tous ces thèmes sont proches de la réalité de l’enfant, de son quotidien, et la fiction permet de les aborder de manière indirecte.

Pourquoi Harry Potter a-t-il révolutionné la littérature jeunesse ?

Harry Potter arrive au bon moment, avec la bonne approche. Au-delà de ses qualités littéraires, il surgit au moment même où explose Internet, et donc la capacité de discuter entre fans à travers le monde, d’échanger des hypothèses, de déchiffrer les énigmes de la saga au-delà du simple mystère propre à chaque tome. Harry Potter est donc la première saga littéraire qui donne naissance en direct à une communauté de passionnés qui va garantir son succès.

Celui-ci est-il immédiat ?

Il s’est construit dans la durée. Les ventes d’Harry Potter à l’école des sorciers sont plutôt bonnes pour un roman jeunesse, grâce à un bouche-à-oreille qui attire la curiosité. Gallimard Jeunesse est le premier éditeur étranger à en acheter les droits de traduction, et J.K. Rowling bénéficie d’une bourse pour écrire le deuxième tome, La Chambre des secrets, ce qui lui permet de quitter son emploi. Mais le succès explose avec le troisième tome, Le Prisonnier d’Azkaban, quand Bloomsbury a l’idée de fixer non seulement un jour, mais une heure de sortie. Des files vont alors se former devant les librairies, offrant une représentation visuelle qui amplifiera le phénomène. Ensuite, l’adaptation au cinéma, les produits dérivés, les jeux, les friandises vont finir par faire entrer le visage d’Harry Potter dans tous les foyers. Aujourd’hui, ont même ouvert des parcs d’attractions dédiés. 

Les créations ultérieures à la saga littéraire, au théâtre, au cinéma ou dans les jeux, sont-elles des prolongations bienvenues du « monde des sorciers » ?

Avant de parler des créations annexes, qui ont en effet permis de développer l’univers étendu du Wizarding World, il faut rappeler l’importance qu’ont eue les créations des fans, qui ont elles-mêmes contribué à la Pottermania. Entre la sortie du quatrième tome, La Coupe de feu, et le cinquième, L’Ordre du Phénix, trois ans, se sont écoulés sans contenus officiels, hormis les deux premiers films. C’est dans cet intervalle que l’on va assister à une explosion de créativité au sein des communautés de fans, avec l’apparition non seulement de fan-fictions, qui vont explorer l’histoire de Poudlard ou les aventures de personnages secondaires, mais aussi des phénomènes insolites comme le wizard rock, qui apparaît aux États-Unis, avec des groupes qui écrivent des albums entiers autour de l’univers d’Harry Potter. Des films amateurs sont tournés, et l’on voit même arriver, au tout début des années 2000, les premiers podcasts, lancés sur des sites de fans bien avant que le genre ne devienne mainstream. Ces contenus vont nourrir un imaginaire autour d’Harry Potter, bien avant que l’industrie ne s’en charge.

Quid alors des productions « officielles » ?

Les adaptations de la série à l’écran tout comme les premiers jeux vidéo n’ambitionnent pas d’étendre l’univers fictionnel de la saga et se contentent de suivre les livres. Un premier pas est franchi avec l’ouverture du site Pottermore, qui propose des contenus inédits, puis avec la sortie, en 2016, de la pièce Harry Potter et l’Enfant maudit, et le premier film des Animaux fantastiques. Autant la pièce obéit à une réelle volonté artistique, au désir d’investir un nouveau médium afin d’offrir une expérience très différente, autant Les Animaux fantastiques relèvent d’une commande des studios Warner Bros à J.K. Rowling pour exploiter son univers. Ils se sont basés pour cela sur un petit livre annexe, publié en 2005, et sur l’affirmation de l’autrice qu’elle pourrait le développer dans une histoire aussi forte que l’originale.

Avec succès ?

Le premier film de cette nouvelle série a reçu un bon accueil, car il offrait une véritable prise de risque, en s’aventurant dans le New York de l’entre-deux-guerres, un univers alors totalement inexploré par ce monde magique. Mais, dès le deuxième, le commercial a pris le dessus sur l’artistique. Pour minimiser les risques, l’intrigue est revenue à Poudlard, à Dumbledore, au prix d’ailleurs d’incohérences dommageables. Résultat : la réception a été mauvaise, les entrées ont chuté, car le public, en réalité, ne souhaitait pas retourner dans cet univers qui en devenait presque étroit. La leçon que l’on peut en tirer, c’est qu’il est possible d’étendre les univers, à condition de ne pas en exposer les limites. Autrement, on ne peut que rendre évident le fait qu’ils ne reposent que sur quelques éléments, et que leur exploitation n’obéit qu’à une pure logique commerciale. C’est d’autant plus dommage que l’immense richesse des créations de fans prouve, au contraire, qu’Harry Potter a le potentiel pour être le socle d’un univers bien plus large.

« Quels que soient les propos de l’autrice, l’histoire d’Harry Potter reste celle d’un jeune enfant qui a grandi dans le placard et qui un jour découvre qu’il n’est pas le seul dans son cas »

Les prises de position politiques de J.K. Rowling, ces dernières années, affectent-elles la lecture de l’œuvre ?

On ne peut pas nier que les prises de position de J.K. Rowling sur les personnes trans ont un impact aujourd’hui sur la manière dont ses livres sont perçus par une partie de son lectorat. Certains points de critique qui avaient pu émerger sont devenus moins excusables, par exemple la représentation de quelques personnages féminins négatifs, comme la journaliste Rita Skeeter, au physique très masculin sous son maquillage. Mais, quels que soient les propos de l’autrice, l’histoire d’Harry Potter reste celle d’un jeune enfant qui a grandi dans le placard, et qui un jour découvre qu’il n’est pas le seul dans son cas et qu’il appartient à une communauté bien plus large que lui. C’est donc une histoire dans laquelle la communauté LGBT s’est souvent retrouvée et dont elle aurait tort de se passer. 

À qui appartient Harry Potter ?

Légalement et financièrement, l’œuvre appartiendra toujours à J.K. Rowling, personne ne le remettra jamais en question. Mais, symboliquement, elle appartient, pour moi, à ses lecteurs et à ses lectrices. Quand on lit un livre, quand on s’imagine vivre une aventure à Poudlard, quand on se représente les lieux, les personnages, quand on s’invente même des histoires, ce ne sera jamais exactement ce qu’en avait décidé l’autrice. Même si les films plaquent un certain univers graphique, c’est toujours l’imaginaire des lecteurs et des lectrices qui finit par prévaloir, parce qu’il est nourri de leur propre vécu, qui trouve un écho dans celui des personnages. C’est vrai de n’importe quelle œuvre littéraire, mais ça l’est peut-être plus encore d’une œuvre comme Harry Potter, qui a été réécrite et réimaginée par tant d’enfants à qui on a fait la lecture le soir. 

 

Propos recueillis par JULIEN BISSON

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