Avec sa face de serpent et son sadisme légendaire, Voldemort semble aisé à cerner : il a tout du pur psychopathe, du Mal absolu contre lequel il faut s’unir ou mourir. Simplicité trompeuse : il soulève l’une des interrogations les plus épineuses de la philosophie morale, celle de l’origine du mal. Pour penser le mal, on doit le saisir à la racine, car comment accepter que le Seigneur des ténèbres ait pu commettre de telles atrocités sans qu’il y ait une raison, ou à tout le moins une cause, à ses crimes ? 

La question : « pourquoi ? » ouvre ici un gouffre vertigineux. La monstruosité morale est-elle un caractère inné ou acquis ? Est-elle évitable, ou bien relève-t-elle du mal incurable ? L’histoire de Voldemort semble frappée du sceau de la fatalité, comme si le sort avait veillé, à chaque étape de sa construction, à ne lui laisser aucune chance. Son père, Tom Jedusor Sr., est un moldu envoûté par la mère du futur mage noir et qui abandonne femme et enfant avant même la naissance de son fils, une fois le sortilège levé. Sa mère, Merope Gaunt, est une misérable à laquelle les abus psychologiques et physiques infligés par son père et son frère (sans même parler de la consanguinité familiale) ont laissé des séquelles indélébiles, à tel point qu’elle mourra de chagrin peu après l’accouchement. Et voici le pauvre petit Tom envoyé à l’orphelinat, avec sa colère internalisée et sa méchanceté en gestation. Franchement, devant une telle bombe à retardement, l’histoire sordide de Tom Elvis Jedusor n’a-t-elle pas tout de la chronique d’une catastrophe annoncée ? 

« Tel Narcisse, Voldemort ne peut aimer que lui-même »

J.K. Rowling ne laisse pas son lecteur s’en tirer à si bon compte. Après tout, si la noirceur des aïeux laissait une trace aussi définitive sur l’âme des descendants, la trajectoire d’un Sirius Black, qui renia sa famille raciste pour rejoindre la résistance contre les forces du mal, serait inenvisageable. Severus Rogue, étudiant harcelé à Poudlard, rejoint les serviteurs de Voldemort (Mangemorts) avant de faire allégeance à l’Ordre du Phénix puis, rongé par la culpabilité d’avoir un temps suivi celui qui finira par assassiner Lily Potter, passe le restant de ses jours à protéger le fils de cette dernière pour se racheter. Et que dire d’Harry Potter lui-même, orphelin comme Tom Jedusor et tout aussi esseulé et maltraité que lui aux mains de son oncle et de sa tante Dursley, « les pires moldus qu’on puisse imaginer » (dixit Minerva McGonagall) ? Mais alors, pourquoi Voldemort est-il si méchant ? Ce garçon, dont Dumbledore dit qu’il n’a « cessé de faire les mauvais choix » ne peut-il s’en prendre qu’à lui-même ?

L’affaire n’est pas si facile. Car l’absence totale d’empathie que manifeste Voldemort ne peut être dissociée des circonstances singulières de sa conception : son père ayant été ensorcelé par sa mère, Tom est l’enfant d’un viol. Contrairement à Harry, qui doit son improbable survie au sacrifice de ses parents, à Severus, éperdument amoureux de Lily, et à Sirius, qui trouve chez ses camarades toute l’affection dont il a manqué en grandissant, Voldemort n’a jamais connu l’amour qui, en introduisant la dualité dans notre vie, plante en nous les germes de la compassion. Tel Narcisse (lui aussi issu d’un viol), Voldemort ne peut aimer que lui-même, ou plutôt, l’image déformée qu’il s’est faite de lui-même, un amour corrompu puisqu’animé non par le souci d’autrui, mais par le désir de l’asservir. Et comme dans les malédictions mythologiques, les enfants payent le prix des transgressions de leurs parents. C’est en fantasmant son destin de maître absolu que Voldemort, déchirant son âme un peu plus à chaque nouveau meurtre pour créer les Horcruxes censés lui garantir pouvoir et immortalité, scelle sa propre fin. Narcisse se laisse dépérir faute de pouvoir saisir son reflet à la surface de l’eau, et Voldemort, tentant de tuer Harry, se suicide malgré lui en détruisant le dernier morceau de son âme qu’il avait projeté dans le héros sans le savoir. La mort, comme l’amour, ne peut être domptée magiquement, et c’est en cherchant à la dominer qu’il succombe. Malédiction ou fourvoiement, destin ou choix, le mal qu’incarne Voldemort est bien l’hubris si souvent mise en scène dans la tragédie grecque, cette folie des grandeurs qui conduit tout droit à l’abîme. 

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