UNE RÈGLE IMPITOYABLE
Par Sabina Issehnane

" L’univers des CDD et du -travail intérimaire en général est bien créateur de trappes à précarité. Ce système ressemble à une essoreuse. Cela ne signifie pas que l’on ne puisse jamais en sortir, mais que plus on y reste, plus la probabilité d’y échapper ne cesse de diminuer. La règle est impitoyable : plus on enchaîne les CDD, plus la période passée en CDD est longue, moins on a de chances d’accéder à un CDI.

Les chiffres sont précis. Un document de l’INSEE de 2011 indique que sur 100 salariés en CDD, vous en retrouvez un an plus tard 25 sans emploi et 53 en emploi temporaire. Bref, vous avez seulement un peu plus de 20 % de ces salariés qui ont pu échapper à la précarité en bénéficiant d’un CDI. Il s’agit d’une forte dégradation de la situation des salariés. Au début des années 1980, la moitié des CDD accédaient à un CDI après un an de travail.

Les « caractéristiques individuelles » jouent beaucoup dans la sortie ou non du monde de la précarité salariale. L’âge, le sexe, les diplômes, le fait que vous ayez de jeunes enfants… tous ces paramètres peuvent vous aider ou se liguer contre vous. Les femmes en CDD ont par exemple moins de chance qu’un homme d’accéder à un CDI, surtout si elles ont de jeunes enfants. Concernant les diplômes, il y a un changement net. Il y a 30 ans, les salariés peu diplômés connaissaient un taux de rotation inférieur aux plus diplômés. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Ce sont les plus diplômés qui bénéficient de la stabilité ; les moins diplômés se trouvent dans l’essoreuse.

Vous retrouvez cette situation dans le bâtiment, l’hôtellerie-restauration, les arts et spectacles, tous ces secteurs d’activité qui représentent près de la moitié des embauches en CDD et qui peuvent légalement signer des CDD successifs avec le même salarié depuis 1990. Ces personnes sont enfermées dans des trajectoires de précaires. Après deux ans à ce rythme, les statistiques montrent que vous êtes bloqués et tenus par des contrats courts, de plus en plus courts. Le CDD peut durer quelques jours, parfois quelques heures…

Encore ne faut-il pas se focaliser sur la division entre CDD et CDI. Le CDI n’est pas un gage de sécurité ni de stabilité. Il existe des CDI à temps partiel subi. Prenez les services d’aide à la personne (gardes d’enfants, femmes de ménage, etc.) qui ont été favorisés par plusieurs gouvernements. Dans ce secteur qui emploie 1,8 million de salariés (2010), vous observez des emplois ultra-précaires. Le CDI n’est pas une garantie ! "

 

UN CARACTÈRE INTÉGRATEUR
Par François Roux

" Dans l’ensemble, l’opinion ignore que le secteur de l’intérim propose le statut social le plus avancé d’Europe. Qui sait que l’intérimaire est souvent beaucoup mieux protégé qu’un salarié employé dans une PME hors convention collective ? La menace qui a pesé sur le secteur, au début des années 1980, nous a poussés à améliorer les conditions de travail. Sous la pression du ministre du Travail Jean Auroux, la profession est passée de la flexibilité, nécessaire à l’économie, à une flexibilité responsable ou flexisécurité. Être intérimaire aujourd’hui, c’est en particulier bénéficier d’une caisse de prévoyance, de la formation professionnelle et d’une égalité de traitement (l’intérimaire a la garantie de recevoir la même rémunération que la personne remplacée). Bref, c’est le contraire d’une nasse.

L’intérim est un point de passage, un tremplin vers des emplois durables. Il n’y a pas de population qui soit captive au sein de l’intérim. Parmi les intérimaires, vous avez 20 % de personnes qui sont volontaires. Cela représente environ 150 000 salariés qui apprécient la liberté de gestion de leur emploi du temps, le sentiment d’être hors hiérarchie. Ces personnes choisissent l’intérim comme un mode d’exercice de leur métier. "

Après, vous avez 80 % d’intérimaires qui cherchent un emploi, ne trouvent pas, et passent par l’intérim. C’est une solution d’attente pour un emploi durable ou un pis-aller entre deux jobs. Nous leur offrons la possibilité de garder un pied dans le monde du travail. La vraie précarité, c’est le chômage ou le CDD puisque, une fois votre contrat terminé, vous prenez la direction de Pôle emploi. Le secteur de l’intérim fonctionne pour sa part comme une agence d’emploi. Nous avons 18 000 collaborateurs dans nos réseaux qui se mobilisent pour trouver une solution. Notre intérêt économique est bien de retrouver au plus vite une mission pour nos salariés. En regard, le CDD ne mérite pas beaucoup d’éloges parce qu’il laisse le salarié seul, en bout de piste, face à ses responsabilités. Vous ne me ferez jamais dire que les CDD et l’intérim peuvent être mis dans le même sac.

Dans notre secteur, les plus gros employeurs sont l’industrie – l’automobile, la sous-traitance mécanique, le nucléaire –, qui représente plus de 40 % de l’intérim. Les services viennent ensuite avec 35 %, puis le BTP, plus de 20 %. Et parmi les gens qui entrent dans l’intérim, 85 % sont des jeunes qui étaient exclus du marché du travail. Un an après, ils sont 60 % à travailler soit en CDI, soit en CDD ou en intérim. L’intérim a un caractère intégrateur. "

 

Propos recueillis par LAURENT GREILSAMER



Vous avez aimé ? Partagez-le !