Son nom évoquait les pierres dont on faisait les murs secs de son village, qu’il s’exerçait à dresser, habile de ses mains, entre deux lampées de « vin bourru » qu’offraient les novembres de son enfance. Bourru, il ne l’était pas, sec encore moins, et de cette carrière prénommée Jean-Claude naquirent moins des murs que des ponts. Gosse de paysan du Midi que le sans-faute républicain conduisit à Normale Sup, il deviendra l’incontournable scénariste de Luis Buñuel et de bien d’autres : Pierre Étaix, Louis Malle, Jacques Deray, Jean-Paul Rappeneau, Godard, Corneau et de Broca, sans oublier Milos Forman, Andrzej Wajda ou Volker Schlöndorff. Ce sacré bonhomme au physique d’ogre doux ne se contenta pas du grand écran pour assouvir son appétit de savoir, de rencontres et de fantaisie. Il brûla quelques planches avec Patrice Chéreau et surtout avec Peter Brook, dont la complicité fraternelle lui ouvrit la route de l’Inde pour donner l’époustouflante épopée du Mahabharata. Parce qu’il vivait au présent, Jean-Claude Carrière s’embarqua fleur au stylo dans les aventures filmées de son jeune ami Louis Garrel (La Croisade, fable écologique) ou du romancier d’origine afghane Atiq Rahimi, dont il adapta le prix Goncourt Syngué Sabour, et se fit passeur, avec son épouse Nahal Tajadod Carrière, pour magnifier les Chants d’amour du poète persan Rûmi.

Il faut prendre sa respiration pour tenter d’embrasser l’univers multiple de Jean-Claude Carrière, précisément obstiné à ne pas faire carrière. Parti de Colombières-sur-Orb (Hérault), il s’enracina dans son havre de la rue Victor-Massé, en lisière du 9e arrondissement de Paris, entre la Nouvelle Athènes et Pigalle, non loin du square d’Anvers, qui porte désormais son nom. Accueillant, à l’écoute de quiconque réclamait conseils et attention, bourreau de travail toujours disponible, drôle et bon vivant, on le visitait avec joie et gratitude. Ce numéro du 1, réalisé avec la Mairie du 9e, n’épuise pas tous les talents de cet écrivain-scénariste qui reçut, avec son complice Pierre Étaix, l’Oscar du meilleur court-métrage en 1963 – les deux compères ignoraient alors ce qu’était un Oscar… – et s’en vit accorder un autre, d’honneur, en 2014. Son honneur, ce fut aussi de vouloir comprendre le monde qui l’entourait pour en saisir les mystères et la beauté. Cet athée croyait à la science, et c’est ainsi qu’il explora les arcanes de l’astrophysique, heureux de trouver la lumière dans les trous noirs ou dans la poussière scintillante des supernovas. Ainsi allait cet épicurien du savoir, de la bonne chère, des mots et de la chose. Jusqu’à son dernier souffle, il eut le goût des histoires. Voici mille éclats de la sienne, racontée par ceux, nombreux, qui l’aimaient.

 

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