Les États-Unis se réveilleront-ils, ce 4 novembre, avec un nouveau président à leur tête ? Au moment où vous lirez ces lignes, vous devriez normalement connaître la réponse. Mais la normalité a été si peu respectée au cours des dernières années qu’il faut désormais s’attendre à tout. Y compris à voir les résultats retardés par le vote par correspondance, combattus dans les cours de justice, ou tout simplement rejetés en bloc par un président goguenard, sûr de sa force et de son droit depuis qu’il a vaincu le Covid (du moins pour son compte) et qui restera quoi qu’il en soit derrière le Bureau ovale jusqu’à fin janvier.

Il y a quatre ans, Donald Trump avait fait campagne sur la promesse de bâtir un mur. À la Maison-Blanche, il s’est mué en démolisseur en chef, sapant un à un les fondements de la démocratie américaine. Loin d’avoir rendu sa « grandeur » au pays, son mandat a creusé l’hostilité, voire la haine, au sein de la population, chauffée à blanc sur les questions raciales, religieuses ou culturelles. Et ce n’est pas cette campagne ruineuse (plus de six milliards de dollars dépensés, un record) qui aura pu rassembler les électeurs autour d’un avenir commun. Celui qui triomphera dans les urnes héritera d’un pays profondément divisé, à l’économie vacillante, aux valeurs contestées. Et sans l’état de grâce habituellement réservé au vainqueur.

L’écrivain Russell Banks est de ces habitants inquiets, conscients que les derniers mois ont encore élargi les fractures nationales. Dans l’entretien passionnant qu’il nous a accordé, l’auteur du roman De beaux lendemains alerte sur le péril des prochaines semaines, dans cette Amérique où la fièvre ne semble pas prête de retomber. Confronté à une troisième vague épidémique meurtrière, si haute qu’elle paraît capable de le submerger d’un océan à l’autre, le pays redoute aussi la multiplication des épisodes de violence, et ce quel que soit le verdict du scrutin. L’année a été émaillée par trop de drames, d’émeutes, de démonstrations de force, pour ne pas craindre la réaction du camp perdant. Signe des temps : depuis le mois de mars, les Américains ont déjà acheté plus de quinze millions d’armes à feu, un bond de 91 % par rapport à l’an passé. Certains n’ont fait que compléter leur collection, par peur d’un contrôle accru en cas de victoire démocrate. D’autres se sont résolus à un premier achat, effrayés par l’atmosphère ambiante de guerre civile. L’Amérique en est là, dans cette année zéro qui hésite entre chaos et renouveau. « Tout avance et grandit, rien ne s’effondre », jugeait le poète Walt Whitman. Il faudra plus qu’une profession de foi pour réconcilier un pays habitué aux gueules de bois. 

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