Voir s’affronter dans cette élection deux hommes blancs de 74 et 77 ans peut sembler surprenant, alors que la jeunesse a été si active pendant quatre ans. Pourquoi les démocrates ont-ils fait le choix de Joe Biden, à l’issue de primaires entre une vingtaine de candidats, dont six femmes, des Noirs, des Latinos, des Asiatiques, avec aussi une grande diversité de parcours et de positionnements, souvent progressistes ? Pourquoi la figure qui a fini par émerger est-elle celle d’un homme blanc âgé et modéré, la plus classique qu’on pouvait imaginer ? Il faut y voir la conséquence de la peur de l’échec face à un candidat comme Donald Trump, qui venait alors d’échapper à son procès pour impeachment. Face à un adversaire aussi féroce, aussi détestable, l’heure n’était pas à l’audace, mais à la sécurité. Joe Biden s’est dès lors imposé comme une valeur refuge, presque comme une coquille vide à l’intérieur de laquelle chacun pouvait verser ses propres aspirations, sans que son identité lui aliène une partie de l’électorat.

Cet arbre, pourtant, ne doit pas masquer la forêt de la jeunesse qui pousse derrière. Depuis vingt ans, le Parti démocrate connaît une transition démographique et sociologique majeure. Les candidatures de Barack Obama et de Hillary Clinton avaient déjà ouvert des portes nouvelles. Et le choc de la défaite de 2016 l’a poussé à se remettre plus encore en question, à travers l’émergence de mouvements activistes progressistes – les jeunes de Parkland contre les armes à feu, le Sunrise Movement ou Black Lives Matter –, mais aussi dans le tissu politique local. Durant les années Obama, les démocrates avaient perdu beaucoup de terrain dans les assemblées d’État, faute souvent de candidats. Après 2016, ils ont repris un travail de terrain mobilisateur, alimenté par les efforts de groupes tels que Justice Democrats, Brand New Congress ou She the People, qui ont été chercher une nouvelle génération de candidats locaux, le plus souvent issus de la jeunesse et des minorités. La plupart ont perdu leur première élection. Mais leur démarche a permis de réveiller la base et de faire émerger de nouveaux visages – Stacey Abrams, candidate au poste de gouverneur de Géorgie en 2018, ou encore Alexandria Ocasio-Cortez et les autres membres du « Squad » au Congrès, toutes femmes de couleur de moins de 50 ans, qui suivent les traces de figures déjà actives comme Pramila Jayapal, coprésidente du Progressive Caucus, le Californien Ro Khanna, ou encore les frères Joaquín et Julián Castro, dont l’étoile continue de monter. Cette année, ce sont Jamaal Bowman à New York ou Jaime Harrison en Caroline du Sud qui marquent les esprits.

Quel sera leur rôle dans les années à venir ? Si Joe Biden est élu, ces jeunes progressistes demanderont à être représentés au sein de son cabinet, à des postes clés comme le Trésor ou l’Environnement. Ils appuieront les figures politiques établies qui, malgré leur âge, les incarnent parce qu’ils partagent leurs combats, comme Bernie Sanders et Elizabeth Warren. Poussé par la base, Biden s’est déjà engagé à investir 2 000 milliards de dollars sur dix ans pour la transition écologique, mais il se verra sûrement encouragé à adopter certaines mesures du Green New Deal, axé sur la justice sociale et environnementale. Et si Trump finit par rafler la mise, cet engagement pour la cause climatique ne faiblira sans doute pas pour autant, avec un travail qui sera mené au niveau des États et des villes. Mais une victoire de Trump, surtout à l’arraché, engendrerait colère et frustration au sein de la jeunesse. Au minimum se multiplieraient des formes de résistance passive, de désobéissance civique. Au pire, une forme de rébellion de plus en plus radicale face à cette Amérique oligarchique, dans laquelle la jeunesse se reconnaît de moins en moins. 

Conversation avec JULIEN BISSON

 

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