Matin des migrants paraît en 2014 dans le long poème Wilderness, un périple sidéré sur des lieux de traumas. Le 31 août 2015, en pleine crise migratoire, Angela Merkel proclamait « wir schaffen das » : « nous y arriverons ». Depuis, l’Allemagne a accueilli plus de 1,6 million de demandeurs d’asile. 

 

Cadix, les tripes du canot en caoutchouc
Jetées à même la plage, moi,
La pierre sur le rivage, reçois leçon
De l’eau qui bavarde.
                                                Dans le gros malaxeur
De l’été les gens nus mêlés aux encapuchonnés
Who is who, carnaval des cultures

Où l’humanité veut-elle aller, débarquer et sombrer ?
Froides plages plus que déchets, lune en dernier quartier.
Où est le sol ferme, la terre chaude, sur laquelle
Les plantes de pied demeurent,                                                éminences et orteils
Et le corps sans effort pose pas après pas ?

Ça grimpe le long de la falaise par-dessus les rochers
Par-dessus moi, ça court sur ma tête,
Comme s’il y avait un but dedans, un rivage, un sens.
Midi venu les étend
                                                           par terre, avec tous ses décrets
Il efface leurs ombres sur la calle mayor
Les mène à ce à quoi ils étaient destinés
                                                                                      d’un trait de craie.
Ils me regardent, leur âme océanique
Dardée sur le karst troué de mes yeux
Cadavre sur cadavre, enroulés
Dans la bâche mugissante du ressac.

 

Poèmes choisis, traduction de l’allemand par Jean-Paul Barbe et Alain Lance,Gallimard, 2018 © L’Oreille du loup

 

 

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